Il était une fois, dans la ville de Toubô-Touroz, une reine plus resplendissante qu'un soleil d'été. Elle était si douce, si lumineuse et porteuse de si belles valeurs que des personnes venaient du monde entier pour vivre à ses côtés. La ville devint rapidement un havre de paix et de prospérité, un endroit où chacun·e pouvait être et exprimer ciel qu'iel était vraiment. C'était un lieu de partage où toustes étaient libres et encouragé·es d'exposer leurs talents musicaux, littéraires, picturaux et tant d'autres. A tel point qu'elle en était devenue un épicentre de la culture, un emplacement de rassemblement privilégié pour quiconque le souhaitait.
Devant l'engouement autour de sa cité, la reine n'eut d'autre choix que d'engager des chevalier·ères pour maintenir l'ordre afin qu'aucun·e de ses sujets ne fût importuné·e par des personnes mal intentionnées. Tout le monde devait pouvoir venir sans se sentir jugé·e ou moqué·e. Et ce fut le cas.
Toubô-Touroz connut très vite un âge d'or et un festival d'art fut organisé tous les mois pour favoriser encore plus l'expression libre du peuple. Qui racontait des histoires fantastiques dans des mondes magiques pour faire rêver son auditoire ; qui peignait des tableaux dramatiques pour extérioriser sa douleur et outrepasser des événements traumatiques de sa vie ; qui encore présentait des pièces de théâtre dont l'unique objectif était que les personnages se péchotassent toustes à la fin. Il n'y avait aucune limite à la créativité et tout le monde en semblait comblé·e.
L'ombre qui allait gâcher ce splendide tableau ne vint que bien plus tard lorsque, sous la population exponentielle de la ville et la popularité croissante du festival, la reine dut s'entourer de plus encore de chevalier·ères afin d'assurer la sécurité de ses sujets et le bon déroulé des festivités mensuelles. Parmi elleux se trouvait une jeune femme réservée mais très dévouée à sa reine. Caroline parlait peu et peu fort mais ses paroles trouvèrent résonnance dans le coeur de sa majesté, et très vite, elles devinrent des amies proches, des confidentes, une deuxième famille l'une pour l'autre. Jamais la reine ne s'était sentie si comprise, pas même par ses parents, pas même par son époux.
Alors Caroline devint sa conseillère privilégiée, son bras droit pour gouverner la grande et belle ville de Toubô-Touroz. Ensemble, elles consolidèrent ses murs, érigèrent des tours toujours plus hautes et renforcèrent la garde, à tel point que la cité se changea en forteresse imprenable. La jeune chevalière créa même une salle du trône rutilante où chacun·e pouvait venir prêter allégeance à la reine en échange de sa protection. D'un lieu de culture, la ville se transforma bientôt en lieu de culte à la gloire de sa reine. Elle était leur guide spirituelle, leur lumière dans la nuit, leur prophétesse. Ses paroles avaient valeur d'évangiles aux oreilles du peuple.
Face à l'explosion d'activités dans sa cité, la reine décida de déléguer une grande partie de ses prérogatives à ses chevalier·ères, notamment l'organisation du festival, pour se concentrer sur sa royale personne. Ainsi, elle se mit en scène elle-même, et chaque soir, des milliers de personnes venaient l'acclamer au théâtre, elle et seulement elle. A tel point que le festival perdit mois après mois en popularité, les visiteurs préférant s'adonner au plaisir simple des représentations royales plutôt de s'embêter à créer pour quelques visiteurs à peine.
Eliott, un des chevalier·ères en charge du festival, alarmé par le déclin de ce dernier, demanda audience auprès de sa reine. Il exposa point par point l'intérêt de plus en plus faible des artistes et proposa moult solutions pour rendre le tout plus attractif. La reine ne l'écouta que d'une oreille, préférant user de son énergie pour réfléchir à sa prochaine pièce. Lorsqu'Eliott osa un mot plus audacieux que les autres, elle rétorqua que l'attractivité de Toubô-Touroz ne tenait qu'à sa royale personne et que, si cela ne tenait qu'à elle, le festival aurait cessé depuis bien longtemps.
Dépité, le chevalier quitta la salle du trône, les larmes aux yeux. Il eut tout juste le temps de voir l'ombre de Caroline qui se précipitait déjà auprès de la reine pour la féliciter d'avoir si bien parlé, d'être la femme forte et indépendante qu'elle était et d'avoir tenu tête face à l'impertinence d'Eliott.
Ce dernier ressassa toute la nuit son entrevue et les pièces du puzzle s'assemblèrent dans son esprit. Si la reine était devenue aussi imbue d'elle-même, c'était du fait de la présence de Caroline à ses côtés, elle qui l'encensait nuit et jour et la confortait dans tous ses choix, même les plus discutables. Il lui fallait à tout prix trouver un moyen d'éloigner la jeune femme de sa majesté afin de la libérer de son emprise.
Le lendemain, Eliott prépara un discours pour le lire sur la Grand-Place et révéler à toute la ville la manipulation dont était victime la reine. Quel ne fut pas son effroi de découvrir que chaque personne qui souhaitait s'exprimer publiquement, de quelque façon que ce fût, devait d'abord faire valider sa démarche par un comité de vérification dont Caroline était à la tête. La raison évoquée était d'éviter tout débordement lié à des sujets trop sensibles ou trop clivants. Tout devait être tout beau tout rose à Toubô-Touroz. L'heure de la libre expression était passée depuis bien longtemps dans la cité, celle de la censure venait de sonner.
Ainsi le discours accusateur d'Eliott passa entre les mains pernicieuses de Caroline qui le jugea irrespectueux, déplacé et véhiculeur de haine. Le chevalier fut chassé de la cité sans aucune forme de procès. La reine ne remarqua même pas son départ et, une semaine plus tard, le festival d'art fut définitivement enterré et avec lui les dernières bribes de liberté. Seul comptait le culte de sa majesté à Toubô-Touroz.
L'histoire aurait pu s'arrêter là si l'ensemble du peuple avait accepté ce triste sort. Mais dans tout groupe il y a des gens qui pensent à-côté, en-dehors. Le départ d'Eliott, couplé à l'arrêt brutal des festivités, entraîna des questions de la part des irréductibles artistes, celleux qui étaient venu·es dans la cité dans l'unique but de partager leurs oeuvres. Beaucoup critiquèrent le gouvernement et ses actions à travers leurs chansons, leurs textes ou leurs tableaux, et presque autant furent chassé·es par le comité de Caroline. En quelques jours à peine, des dizaines d'habitant·es quittèrent la ville de gré ou de force, au point que tout le monde finit par se rendre compte que quelque chose ne tournait pas rond à Toubô-Touroz.
Un soir, alors que la reine montait sur scène pour se pavaner une énième fois, les gradins étaient complètement vides. Elle s'offusqua d'un tel désengouement et demanda des explications auprès de sa garde mais aucun·e ne répondit à l'appel. Toustes étaient parti·es en même temps que le peuple.
Seule Caroline s'avança. Elle vanta la gloire de sa resplendissante amie et de cette ville enfin débarrassée des critiques et des pécores. La reine comprit l'enfermement mental dans lequel sa conseillère la maintenait prisonnière et elle décida de la congédier. Caroline refusa de se faire ainsi écartée de la vie de celle qui était tout pour elle et se jeta à son cou pour l'étrangler.
Et c'est ainsi qu'à la fin, il n'en resta plus qu'une.
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Short StoryNouvelles sans lien ni ordre écrites pour divers ateliers et concours d'écriture