Statue de pierre

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Dia de los muertos. Toutes les familles de Guadalajara décoraient leur maison, chantaient et dansaient pour célébrer leurs morts. En ce jour si particulier, il était dit que les défunts venaient visiter leur famille. Et plusieurs personnes affirmaient avoir déjà ressenti leur présence. Alors tout le monde était heureux en cette soirée festive. Tout le monde ? Pas tout à fait. Le petit Alexei n'aimait pas dia de los muertos, car il n'avait personne avec qui fêter cette nuit, ni mort... ni vivant. En effet Alexei était orphelin, il avait été abandonné à la naissance à l'entrée d'un couvent. Il n'avait donc ni parent, ni ancêtre. Il était seul. Seul avec les sœurs qui l'avaient élevé.

Alors en ce jour des morts, pendant que tout le monde s'amusait, Alexei restait enfermé dans la bibliothèque du couvent. Il se sentait bien ici, entouré de tous ces livres, il n'avait plus l'impression d'être seul. En lisant les histoires passées, il s'évadait l'espace d'un instant dans un monde imaginaire qui n'appartenait qu'à lui, et dans lequel il pouvait être qui il voulait. Les heures passèrent ainsi et ses paupières s'alourdirent, il finit par s'endormir.

Un bruit de feu d'artifice le réveilla brusquement. Dehors, la fête battait son plein. Alexei soupira en reportant son attention sur ce qu'il était en train de lire : la légende d'Hibelga qui a réussi à entrer en contact avec son arrière-grand-mère grâce à un rituel assez simple. Elle avait allumé un bâton d'encens au pied d'une statue dans un cimetière et avait appelé trois fois son ancêtre. Le jeune garçon leva les yeux au ciel. Comme si c'était possible ! Puis de toute façon, lui n'avait personne à contacter. Il referma le livre d'un coup sec et prit la direction de sa chambre pour aller se coucher, il était déjà tard.

Cependant, il s'arrêta quand il arriva devant le caveau à l'arrière du monastère. Juste à côté du petit bâtiment, il y avait justement une statue représentant un homme regardant le ciel. Tiens, il lui semblait que cette statue était censée être celle d'une femme priant. Il s'était peut-être trompé, après tout, il n'avait jamais vraiment prêté attention à cet endroit.

Sans s'en rendre compte, il s'approcha du caveau. Il savait que la légende d'Hibelga n'était que foutaises, mais une part de lui était curieuse. Alors il attrapa un bâton d'encens mis à disposition, l'alluma, et joignit ses deux mains en regardant la statue qui le toisait. Il réfléchit un instant. Qui allait-il bien pouvoir appeler ? Il ne connaissait le nom d'aucun de ses ancêtres. Puis une idée lui vint. Certes, il n'avait aucune idée du nom de ses parents ou grands-parents, mais il pouvait les appeler comme un enfant appelle les membres de sa famille. Il se racla alors la gorge et tenta un :

- Abuela ? Abuela ? Abuela ?

Rien ne se produisit. Évidemment. Alexei sourit de sa propre bêtise. En plus, il ne savait même pas si une seule de ses grands-mères était décédée. Il se sentit stupide tout à coup. Comment avait-il pu, l'espace d'un instant, croire en ces fables ? Il éteignit le bâton d'encens et se retourna.

C'est là qu'il tomba nez à nez avec une femme dans un accoutrement bariolé.

- Q-q-q-qui êtes-vous ? demanda le jeune garçon. Comment êtes-vous entrée ici ?
- Mais enfin Niño, c'est toi qui vient de m'appeler. T'as déjà oublié ?
- A-Abuela ?
- En chair et en os... enfin je crois.

Elle toucha plusieurs parties de son corps pour vérifier qu'elle était bien palpable. Alexei, encore sous le choc de cette rencontre, ne savait pas quoi dire.

- Eh ben alors Niño, tu n'as rien à me dire ? Je comprends. Faut dire que ton abuela est sacrément impressionnante.
- Non c'est juste que... Enfin... Vous êtes vraiment ma grand-mère ?
- Un peu mon neveu ! Enfin, mon petit-fils.
- J'ai tellement de questions à vous poser. Je...
- Moi aussi j'ai des questions, résonna une voix lente derrière le jeune garçon.

Ce dernier n'eut pas le temps de comprendre de qui il s'agissait, qu'une silhouette passa rapidement à côté de lui, et attrapa sa grand-mère par le cou. Celle-ci se débattit mais ne put se libérer de l'étreinte de... la statue ? Alexei jetta un coup d'œil furtif derrière lui et constata avec stupeur que la statue regardant le ciel n'était en effet plus là où elle devait être, mais bien en train d'étrangler sa grand-mère.

Sans vraiment réfléchir, il s'élança contre le colosse de pierre pour le frapper. Mais ses mains n'étant pas aussi dures, elles se mirent rapidement à saigner. Voyant qu'un enfant s'en prenait à sa jambe, la statue lui mit un coup sur la tête. Alexei tomba dans un profond sommeil.


La lumière du soleil vint caresser le visage du jeune garçon. Il grimaça et se réveilla, se frottant les yeux encore fatigués. Puis il se souvint : le rituel, sa grand-mère, la statue, et... Il était dans sa chambre. Comment était-ce possible ? Est-ce que tout cela n'avait été qu'un rêve ? Alexei s'en convainquit. La fatigue et les légendes mexicaines avaient certainement influencé son inconscient, au point de faire ce rêve étrange.

Bon gré mal gré, il se leva et se dirigea vers le réfectoire. En chemin, il passa de nouveau devant la crypte et la statue de femme priant, et non pas d'homme regardant le ciel. Cette fois c'était sûr, il avait bien rêvé les événements de la nuit précédente.

Il s'assit donc à la table avec les sœurs et tendit ses mains pour être servi. C'est là qu'il constata qu'elles saignaient...


* * * * *


Au nord de la ville, une silhouette avançait lentement, un gros sac de toile sur le dos. On aurait pu croire à un simple voyageur parcourant les routes mexicaines... s'il n'avait pas été fait de pierre.


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