Pierre incandescente

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Cela faisait des jours, des semaines, peut-être même des mois qu'il marchait dans ce désert gelé. Il ne savait plus vraiment, le temps était une notion bien floue pour lui. Il faut dire qu'à son âge, il n'était plus à quelques jours près.

Il avançait tout droit, sans se soucier de rien d'autre que de sa mission, la raison de sa présence dans ces montagnes enneigées. Un message lui était parvenu lui demandant d'enquêter dans cette région car des voyageurs y auraient aperçu d'étranges lumières. Personne n'avait osé s'en approcher, d'une part parce que les lueurs apparaissaient dans un coin assez reculé, et d'autre part parce qu'il était difficile pour un humain ordinaire de résister à des températures aussi glaciales.

Il n'était pas un humain ordinaire.

Alors il avait accepté cette mission, comme toutes les autres avant, il n'en avait jamais refusé une seule. Tel était sa raison de vivre après tout. Peu importe s'il devait marcher des jours durant dans la neige, il accomplirait son devoir coûte que coûte. C'est pour sa détermination sans faille qu'il avait été recruté, ça et son corps de pierre qui le rendait quasi invincible et, en l'occurrence, insensible au froid.

C'est ainsi qu'il s'était retrouvé à marcher seul dans le froid et la nuit, avec pour seul repère ces drôles de lumières au loin. Elles étaient son unique compagnie dans cette étendue aussi vide que gelée, mais aussi une confirmation, celle qu'il approchait à chaque pas un peu plus de son objectif. Cette impression fut d'autant plus validée quand une sensation étrange l'atteignit : de la chaleur. Il touchait au but.

À mesure qu'il s'approchait de l'origine de ce phénomène, la température commença à remonter et la neige qui recouvrait le sol jusqu'alors finit même par complètement disparaître, laissant place à de l'herbe tendre et quelques fleurs vaillantes. Cette vision émut notre voyageur qui appréciait la beauté simple de chaque chose dans la nature.

Cependant, ce paisible spectacle fut de courte durée. Bientôt, ce furent des cendres qui tapissèrent son chemin, et la température devint très vite insupportable pour un humain ordinaire.

Mais encore une fois, il n'était pas un humain ordinaire.

Alors il ne se découragea pas. Pas une seule seconde il ne pensa à faire demi-tour. Comme toujours, il tiendrait, et finalement, il découvrit la source de tout cela. C'était une très jeune enfant, recroquevillée sur elle-même, relâchant des flammes en continu de son corps frêle. Lorsqu'elle l'aperçut, elle se releva d'un bond et s'éloigna à reculons.

- Arrêtez ! cria-t-elle. Ne vous approchez pas !

Comme s'il n'avait pas entendu, il continua sa route vers la jeune fille de son même pas régulier.

- Arrêtez ! répéta-t-elle. Je ne veux pas vous faire de mal.

À nouveau il ne réagit pas et arriva à quelques pas seulement de la fillette.

- Arrêtez je vous ai dit ! Si vous vous approchez encore, vous allez finir carbonisé comme tous les autres.

Il parcourut l'ultime distance qui le séparait d'elle et la prit dans ses bras, faisant bien attention à maîtriser sa force pour ne pas l'étouffer. La jeune fille, voyant que ses flammes ne brûlaient pas cet inconnu, laissa s'échapper toutes les larmes de son corps qu'elle avait retenues jusqu'ici.

Après un long moment, l'homme et la fillette desserrèrent leur étreinte. Cette dernière prit alors conscience de la nature insolite de la personne qu'elle venait de rencontrer.

- Tu... Tu es en pierre ?
- Oui.
- Mes flammes ne te font pas mal ?
- Non.
- Comment ça se fait ?
- C'est ainsi.
- Tu ne parles pas beaucoup.
- En effet.
- Mais je t'aime bien quand même.
- ...
- Pourquoi t'es là au fait ?
- Pour toi.
- Pour moi ?
- Pour t'aider.
- Tu peux m'aider ? Vraiment ?
- Oui.
- Comment ?
- Prends ça.

Sur ces mots, l'homme de pierre plaça une grande cape sur les épaules de la jeune fille. Avec stupeur, elle constata que le feu ne traversait pas ce nouveau vêtement.

- Mais c'est incroyable ! s'exclama-t-elle. Comment c'est possible ?
- Suis-moi.

Sans attendre, il se retourna et rebroussa chemin, reprenant le même pas lent et régulier que plus tôt. Quelque peu surprise, la fillette s'élança quand même à sa suite, mais un drôle de bruit résonna dans le silence de la montagne.

- C'est mon ventre, avoua-t-elle un peu gênée. Je n'ai rien mangé depuis une éternité.

L'homme de pierre s'arrêta et fouilla dans son sac. Il en ressortit quelques fruits bien mûrs et des galettes à base de farine de maïs. La jeune fille écarquilla grand les yeux et accepta avec plaisir la nourriture qu'on lui offrit. Après avoir dévoré ce repas frugal, elle s'écria :

- Trop bien ! J'avais trop faim ! Merci... euh... Comment tu t'appelles au fait ?
- Three.
- Three ? C'est bizarre comme nom.
- Ça veut dire « trois » en anglais.
- Quoi ? Mais qui s'appelle par un nombre ? demanda-t-elle amusée.
- Moi.
- C'est vraiment trop bizarre. Au fait, moi je m'appelle Allyriane.

L'homme de pierre ne répondit pas et reprit sa route, suivi de près par la fillette. Cette dernière ne garda pas le silence très longtemps.

- Au fait, c'est où qu'on va ?
- Avalon.
- Avalon ? C'est loin ça ?
- Oui.
- Ah d'accord. Et pourquoi on va là-bas ?
- Pour que tu apprennes à maîtriser ton pouvoir.
- Quoi ? Tu crois vraiment que je peux contrôler ces flammes ?
- Oui.
- Trop cool ! Comme ça je ne ferai plus de mal à personne.
- Ça dépend.
- Comment ça ?
- Ça dépend de comment tu veux utiliser ton pouvoir.
- Bah moi je veux pas faire de mal aux gens, alors je ne l'utiliserai pas pour faire mal.
- Tu n'auras peut-être pas le choix.
- Si ! affirma Allyriane avec conviction.
- Et si un jour tu dois te défendre ?
- Comment ça ?
- Si on t'attaque, tu devras te défendre, et utiliser ton pouvoir.
- Mais qui voudrait m'attaquer moi ?
- Des gens mal intentionnés.
- Mais pourquoi moi ?
- Parce que tu es différente.
- Toi aussi tu es différent.
- Oui.
- Et on t'a attaqué ?
- Oui.
- Et tu t'es défendu ?
- Oui.
- Je vois. Alors je n'utiliserai mon pouvoir que contre les méchants.

Three sourit. Même s'il ne pouvait prévoir l'avenir, il pressentait que cette petite serait une alliée de taille lorsqu'elle serait plus grande. Ainsi se déroula le trajet jusqu'à Avalon, Allyriane posant mille et une questions et son nouvel ami répondant toujours aussi brièvement. Étrangement, le trajet lui parut bien plus court qu'à l'aller.


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