Les feuilles d'automne bruissaient sous ses pieds nus. L'odeur de l'écorce après la pluie emplissait ses narines à chaque nouvelle respiration. Le vent faisait danser le feuillage des arbres et ses longs cheveux. Pas après pas, elle s'enfonçait dans la forêt.
Elle se souvenait de la douce chaleur des lieux quand elle venait s'y promener en été. Les mésanges et les cigales qui chantaient, les pommes de pin séchées sur le sol, les parfums enivrants de thym et de lavande. Tout était si beau et si parfait alors. Tout ne l'était tellement plus désormais.
Sans prévenir, la saison froide était arrivée, et avec elle les tempêtes. Alors elle s'était éloignée de la forêt devenue trop dangereux pour y flâner. Elle avait préféré rester à l'abri dans son petit chalet, bien au chaud et au sec devant la cheminée. Le temps s'était écoulé longtemps, et jour après jour, elle avait oublié la forêt.
Mais l'orage de la nuit précédente avait été particulièrement violent, faisant voler en éclats le toit de sa demeure. L'humidité s'était infiltrée dans son intimité, l'avait submergée, manquant de la noyer.
Alors que les battements de son cœur ralentissaient peu à peu, la pulsion de vie avait été plus forte. Elle avait ouvert les yeux et vu la surface qui l'attirait, qui l'appelait. Elle avait pris appui sur les restes de sa maison engloutie et une impulsion l'avait projetée vers le ciel. Une respiration salvatrice.
La pluie s'était transformée en courant qui arrachait tout sur son passage. Les racines des arbres, les petits animaux, et elle. La rivière déchaînée voulait l'emporter encore plus loin de la forêt. Elle avait refusé de se laisser porter, comme elle avait refusé de succomber noyée. Brasse après brasse, elle avait remonté le torrent.
A mesure qu'elle avait la distance qui la séparait de l'orée, l'intensité du courant avait diminué. La pluie battante s'était affaiblie en simple averse jusqu'à s'arrêter. Aussi, quand elle avait atteint le premier chêne, elle avait pu de nouveau marcher sur la terre ferme. On aurait pu croire que l'orage n'avait jamais eu lieu si tout n'était pas encore détrempé.
Depuis, elle avançait, mue par un irrésistible appel. Oui, quelque chose l'appelait au cœur de cette forêt. Elle ignorait pourquoi elle devait s'y rendre mais elle savait qu'elle n'avait pas le choix. Son corps la portait pour elle.
Sa robe voletait au rythme de ses pas. Elle profitait de chaque inspiration que lui fournissait le bois comme s'il s'agissait de la dernière. Pourtant, l'air se faisait de plus en plus pesant, le feuillage au-dessus de sa tête de plus en plus dense, et le chemin de plus en plus sombre. Pas après pas, elle s'enfonçait dans la nuit.
Bientôt, l'obscurité fut totale, et plus aucun bruit ne transperça le voile de ténèbres. Seul le silence, et elle.
Puis, un grondement. Sourd, pesant, menaçant mais surtout, de plus en plus fort. Et bientôt, elle l'aperçut, non pas avec ses yeux toujours inutiles, ni même avec ses autres sens tout autant anesthésiés. Non, elle la ressentait, au plus profond d'elle-même, la bête tapie au fin fond de cette forêt.
Son corps difforme trop gros par endroits et trop maigre par ailleurs, ses yeux dissymétriques et divergents, ses cheveux en bataille aussi drus que de la paille, et surtout son tarin énorme au milieu de sa face répugnante. Elle trouvait la bête plus laide que n'importe quel être sur terre. Pire que cela encore, elle l'exécrait au plus haut point. Défaut après défaut, elle confortait l'ignominie.
Pourtant elle se trouvait là, face à cette monstruosité. Elle avait bravé le torrent et marché pendant des heures pour arriver jusqu'ici, et elle l'avait fait de son plein gré. Cet appel qu'elle avait ressenti ne venait pas de la bête mais bien d'elle-même. Elle avait choisi de venir pour affronter la réalité.
Elle fit un dernier pas en avant et se retrouva tout contre la source de son dégoût. Elle ravala un haut-le-cœur et une larme brûlante et enlaça la bête.
Alors la lumière reprit possession des lieux. Les arbres s'écartèrent de nouveau et démêlèrent leur feuillage pour révéler l'astre solaire qui pointait timidement derrière sa cachette cotonneuse. La vie se réveilla peu à peu dans la forêt et avec elle les sons et les odeurs furent relâchés. Le bois n'était cependant plus tout à fait le même que dans ses souvenirs d'été. Moins chaud, moins éclatant, mais néanmoins toujours aussi paisible.
Elle desserra son étreinte. Dans ses bras ne se trouvait plus l'horrible bête mais une copie d'elle-même, son parfait reflet. Les larmes qu'elle retenait jusqu'alors dévalèrent en cascades sur ses joues. Des larmes salvatrices, réparatrices, de celles qui pansent les plaies même les plus béantes. Ses yeux embués brouillaient sa vision. Lorsqu'elle sécha enfin ses pleurs, l'autre elle avait disparu, tout en étant toujours un peu là.
Elle leva son regard vers le firmament. Un premier flocon vint se poser sur le bout de son joli nez. La nouvelle saison frappait à sa porte et elle l'accueillait comme une ancienne amie, esquissant quelques pas de danse sur le sol de plus en plus blanc à ses pieds. Elle était exactement là où elle voulait être.
Rien n'arrêterait le déploiement de ses ailes.
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