Ofelia, la Fille Fleur. Tome1: Origines.

Chapitre 3: Enfants Prodigues (Partie 4)

[Forteresse des Métamorphes, Tour Noire. Val Este.]

Cela faisait de longs moments que le roi Haki admirait les deux sphères dorées, délicatement posées sur des écrins rouges. Une expression de peur et d'amertume animait le visage du souverain. Il se tourna vers ses enfants Syd et Nessa prosternés en bas de l'estrade. Il les invita d'un signe de la main à se relever.

Les pas lourds du roi se dirigèrent vers son fauteuil. Haki était très imposant. Une armure sombre dessinait les répliques de ses jambes et de ses bras saillants. Une couronne discrète coiffait sa longue chevelure blanche et soyeuse et ressemblait presque à un bijou de tête. Ses yeux ambre semblaient baigner dans de l'eau.

— Qui sont ces jeunes gens ? D'où viennent-ils ? Que font-ils parmi les Humains ?

Haki se surprit lui-même à enchainer les questions. Il ressentait cependant le besoin de savoir, et de se rassurer. Tout ceci avait pour le roi un air de déjà-vu.

— Il ne fait aucun doute que la fille est une Fandragore, affirma Nessa.

— Je pense que mon adversaire est un Vardien, expliqua Syd. Il possède une grande énergie, mais il ne la contrôle pas. C'est pourquoi j'ai pu le battre aussi facilement.

À ses mots, Haki eut un sursaut discret. De grosses gouttes de sueur longèrent sa tempe, contournèrent ses mâchoires musclées et s'écrasèrent sur ses doigts crispés. Haki regarda la boule qui emprisonnait l'énergie de Ryū. Elle était pure et brillante tel un soleil.

— Nessa, laisse-nous. Tu as fait du bon travail. Va te reposer.

La princesse se leva à contrecœur. Elle avait toujours été en compétition avec son frère. Cela la révoltait quand il obtenait plus de responsabilités qu'elle. Elle jeta un regard noir à Syd puis elle quitta la pièce. Une fois seuls Haki invita Syd à prendre place.

— Ta sœur ne t'a probablement rien dit, expliqua Haki, mais j'ai décidé de l'envoyer en formation. Elle partira très prochainement et elle ne sera pas de retour avant de longs mois. Nessa doit apprendre à gérer sa colère. Bref, dis-moi à présent que nous sommes seuls, ce que tu penses de cette Fandragore.

— Elle est spéciale, répondit Syd.

Il poursuivit devant le regard intrigué de son géniteur :

— Elle est impressionnante.

— Je comprends mieux à présent, constata Haki. Ce chien de Sloane s'est servi de moi pour mieux me baiser ensuite ! Fils, notre monde est vaste. Que savons-nous des régions par-delà le feu et la glace ?

— Le peuple de Limli, risqua Syd.

— Ce même peuple à l'origine de la pire malédiction de notre ère. Sloane a parcouru le monde à la recherche du prince des Abysses, car il avait compris.

Haki brisa de fureur à ces mots le pommeau de son fauteuil. La colère et l'incompréhension déformaient son visage. Son regard humide se posa successivement sur Syd et vers les sphères.

— L'énergie du Vardien s'est manifestée au même moment que celle de la Fandragore. Il est très fort, mais je demeure convaincu qu'il ne s'agit pas du prince des Abysses.

Haki regarda son fils. Ses traits parurent moins accablés. Il prit une longue inspiration, puis il se leva. Sa main se posa énergiquement sur l'épaule de Syd.

— En effet, le prince des Abysses n'est pas sensé venir de Varda. Fils, nous entrons dans les heures les plus sombres de notre Histoire. J'ai passé toute ma vie à chercher l'Ora. La principale raison est le pouvoir, mais également l'élévation des Métamorphes au rang de créature immortelle et crainte par tous. Fils, Tour Noire a rendez-vous avec l'Histoire et nous avec notre destin. A présent, j'ai la certitude que les deux signes annonçant la fin de notre monde sont apparus.

— Et ce sera un honneur de vaincre à vos côtés, pour la grandeur de Tour Noire.

Ces mots de Syd soulagèrent Haki. Il invita son fils à le rejoindre debout. Après un court instant, Syd prit congé de son père et emporta les sphères lumineuses avec lui. Haki quitta également ses appartements. Il longea un long couloir sombre. Ses pas s'immobilisèrent à la suite d'un escalier en colimaçon devant une lourde porte en fer. Quelques torches donnaient un soupçon de vie au long couloir vide et silencieux. Le roi franchit l'entrée. Il avançait, confiant malgré l'épaisse obscurité.

Des formes lumineuses se manifestèrent soudainement autour de lui. Trois spectres féminins s'élevèrent brusquement vers le dôme de verre. Leurs robes de lin se prolongeaient en une trainée de lumière. Elles avaient la peau aussi blanche que le coton. Leurs chevelures noires leur retombaient jusqu'à la taille. Aucune expression ne se lisait sur leurs fins visages. Les spectres s'immobilisèrent devant le roi Haki après une chorégraphie bien orchestrée.

— Haki, ta visite nous comble de bonheur, déclarent-elles d'une même voix forte.

Leurs voix unies retentissaient en écho :

— Notre roi bienaimé, qu'est-ce qui te préoccupe ?

— J'ai besoin de votre lumière, car le désespoir et la confusion se sont emparés de mon cœur, avoua Haki. Une seule personne est capable de dégager une telle énergie. Qu'il soit censé être mort me contrarie davantage. Il devient à présent la seule barrière entre moi et l'Ora. Et si je le tuais ? Où ai-je failli ?

— Il te sera impossible de le tuer, car vous êtes liés. Réveille sa vraie nature, mais ce couteau est à double tranchant. Mon roi, un homme est l'unique maitre de son destin. L'histoire de Varus ne se répètera peut-être pas.

— Merci énormément pour vos précieux conseils, conclut Haki en tirant sa révérence.

— Tout ce qui contente notre roi nous contente, lui assurèrent les trois spectres.

Comme apparus, les spectres disparurent. La pénombrereconquit la pièce. Haki tomba sur ses paumes. Ses mâchoires se crispèrent. Il mâchases regrets avec amertume.