Ryū traversa les rues étroites des faubourgs. Il s'orientait à l'aide des hautes tours visibles depuis les quartiers précaires. Lorsqu'il atteignit le quartier des Nobles, les réverbères commençaient à s'éteindre les uns à la suite des autres. Des nuages gris continuaient de s'amasser. Ils annonçaient vraisemblablement la pluie prochaine. Quelques habitants se précipitaient déjà vers leur domicile.
L'épais brouillard couvrait également la Sylva. Ofelia y observait Camélia depuis la table de la cuisine. Le visage de Camélia avait retrouvé un peu de couleurs, mais la tristesse habitait encore ses grands yeux sombres. Ofelia portait une chemise et un pantalon. Elle avait attaché ses cheveux, dégageant ainsi son cou et ses épaules.
— Je crois que tout y est, conclut enfin Camélia.
— Je suis équipée pour une année entière, sourit Ofelia.
Elle tentait de détendre l'atmosphère. Camélia perdit son sang-froid et s'effondra sur l'épaule de sa fille.
— Ofelia, je suis tellement désolée, murmura-t-elle d'une voix noyée de larmes.
— Ne le sois pas. Je pense que ma destinée consiste à accomplir ce voyage. Je ne suis pas cette Fandragore dont parle la légende, mais je suis certaine que ma volonté de sauver ceux que j'aime est aussi forte que la sienne, poursuivit Ofelia avec la gorge serrée.
Camélia tenta de se reprendre. Elle s'éloigna de sa fille et se ventila le visage.
— Alors, où en es-tu avec la carte ? reprit Camélia.
— Tout est là, répondit Ofelia en désignant fièrement sa tête.
Camélia prit la carte sur la table et la jeta dans la cheminée. Le vieux parchemin se consuma rapidement sous le regard des deux Fandragores. Les flammes s'excitèrent un court instant.
— D'autres s'y sont attelés, expliqua Camélia, mais cette carte est la plus complète et la plus détaillée qui existe. Tu auras désormais toujours une longueur d'avance sur tes ennemis. Tu as rendez-vous avec ta destinée. N'aie crainte, tu es beaucoup plus forte que tu ne le penses, assura finalement Camélia.
— Merci, Maman. Je t'aime.
Camélia serra en signe de réponse la main d'Ofelia autour de ses épaules.
— Si seulement j'avais un artéfact du temps... se lamenta Ofelia.
— Cet objet est magique. Il ne peut rien pour toi, expliqua Camélia.
— Il serait temps que je parte.
Ofelia mit son sac en bandoulière, embrassa une dernière fois sa mère et quitta la maisonnette. Camélia n'avait pas la force de la regarder s'éloigner.
Ryū poussa au même moment la grille du manoir Onfroy et il se précipita à l'intérieur. Il se dirigea vers le séjour. Il était vide. Il se rendit dans la salle à manger. Pol se faisait servir le thé par Arild. Les visages des deux hommes s'illuminèrent dès qu'ils le virent. Pol soulagé quitta la table et étreignit son fils. Le dandy fut interpelé par son changement.
— Papa, Arild, je suis heureux de vous revoir, dit Ryū encore essoufflé.
— Monsieur Ryū, bon retour parmi nous, sourit Arild.
— Tu as le corps si chaud, remarqua Pol, es-tu sûr que tout va bien ?
— Papa, je n'ai pas le temps de tout t'expliquer. Je suis venu chercher quelques broutilles et te dire au revoir... Encore.
— Me dire au revoir ? Dis-moi au moins où tu vas, s'inquiéta Pol.
— Moins tu en sauras, mieux ce sera. Tout ce que je peux te dire, c'est que Neth disait vrai, expliqua brièvement Ryū.
— N'y a-t-il rien que je peux faire ? insista Pol.
— Sois juste très prudent.
Ryū courut à l'étage jusqu'à sa chambre. Il jeta pêlemêle sur le sol plusieurs tenues avant de trouver celle qui lui siérait. Il quitta la pièce sans refermer la porte ni prêter attention au désordre qu'il avait créé. Ses pas le conduisirent dans les cuisines.
Les placards, et les étagères s'étendaient sur plusieurs mètres. Ryū n'arrivait pas à s'orienter dans l'immense cuisine et sa nervosité ne l'aidait pas. Anna finit par arriver et lui prit le sac des mains. Elle y mit tout le nécessaire comme si elle lisait ses pensées. Il serra longuement la dame dans ses bras avant de retrouver Pol et Arild à l'entrée.
— As-tu tout ce qu'il te faut ? demanda Pol avec inquiétude.
— Je crois que ça ira.
— Bonne chance, et sois prudent, mon fils.
Ryū acquiesça et quitta le manoir sous le regard inquiet des deux hommes. De premières gouttes de pluie s'écrasèrent sur ses épaules au moment où il franchit la grille. Il endossa son sac et il s'engagea dans une course effrénée.
Arrivé à la lisière de la forêt, il coupa à travers les bois. La pluie de plus en plus abondante et fraiche le ralentit considérablement. Il aperçut finalement au loin la faible lumière de la maisonnette des Fandragores. Il entra sans prendre le temps de frapper, et inonda l'entrée. Camélia en fut surprise et elle vint aussitôt à sa rencontre.
— Ryū ?
La stupeur saisit Camélia devant le changement de Ryū et le feu qui brulait dans ses yeux. Elle comprit immédiatement. Varus s'était manifesté. Elle était désormais forcée de l'admettre : Ryū avait la carrure d'un roi. Elle savait quelque part au fond d'elle qu'Ofelia demeurerait en sécurité avec lui.
— Bonjour, Camélia. Est-ce qu'Ofelia est là ?
— Tu peux encore la rattraper si tu te dépêches. Elle va vers l'ouest.
— Merci beaucoup.
— Ryū, nous sommes partis sur de mauvaises bases. Je te demande de m'en excuser. Je suis contente que tu sois en vie.
— Je vous dois également des excuses. J'ai été horrible.
— Je l'ai bien mérité. Alors qu'est-ce que cela fait ? demanda Camélia intriguée.
— Cela fait un bien fou, confia promptement Ryū.
— J'espère que cela sera suffisant... Vas-y, maintenant !
Ryū quitta la maisonnette sous le regard inquiet de Camélia. Elle l'accompagna jusqu'au perron. La silhouette du jeune homme ne tarda pas à s'évanouir dans la brume. La température se rafraichissait de plus en plus. Cela ne dérangeait point Ryū, mais il avait peur pour Ofelia.
Il se faufila avec célérité entre les arbres. Sa course dura de longues minutes. Un effluve familier lui parvint soudainement. C'était celui d'Ofelia. Il le reconnaissait entre mille. Son instinct le guida vers un sous-bois.
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Ofelia, la Fille Fleur. Tome1: Origines.
FantasiaLes six magiciennes originelles créèrent l'Ora, une arme conférant le contrôle sur la vie et promettant l'immortalité, scellant leur alliance dans le sang et provoquant l'émoi parmi les êtres. Pendant des siècles, une guerre farouche éclata pour s'e...