Chapitre 5: Souvenirs.

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[Été 998 après Knut. Château d'Anisville. Val Este.]

Camélia arborait fièrement l'uniforme bleu de commandeure suprême des Armées d'Anisville. Sa longue chevelure de jais était nouée en une natte jetée par-dessus son épaule. Elle se tenait vaillante, à quelques pas de Cytise, la reine à la peau terreuse et à la chevelure de feu. Les deux Fandragores se tenaient au sommet de la tour sud.

Un magnifique soleil dardait ses rayons sur la mégalopole. Elles furent bientôt rejointes par une soldate. Celle-ci présenta ses honneurs à Camélia puis la prévint de l'arrivée imminente de leur invité. Elle se retira après avoir délivré son message.

- Ma reine, il est là, prévint Camélia.

La reine jeta un dernier coup d'œil à la table qui jouxtait son fauteuil. Une diversité de mets colorés et savoureux s'y trouvait. La nourriture était servie dans une porcelaine immaculée et délicate.

Un cortège d'une dizaine de carrosses qui portaient tous l'emblème de Varda s'immobilisa au même moment devant le château. Les six Chevaliers de la Lumière, garants de la sécurité du roi, posèrent le pied à terre. Ils arboraient tous la même prestance et la même fierté. Ils formèrent une procession devant le carrosse le plus luxueux. La porte s'ouvrit et le roi Sloane en descendit. Il était grand et imposant. Il portait également un uniforme, mais le sien disparaissait sous une cape bleu foncé.

Ils furent bientôt rejoints par le protocole qui les guida à l'intérieur. Ces Fandragores étaient vêtues d'uniformes bleu clair, ajustés à leur silhouette. Des casques surmontés de plumes coiffaient leurs cheveux nattés. Ils étaient armés de lances.

Les six chevaliers suivirent leur roi et ne manquèrent pas de jeter des regards intéressés aux Fandragores réceptives à leurs sourires. Elles semblaient de meilleure compagnie que les soldates qui les précédaient.

Le cortège emprunta un ascenseur en verre qui monta rapidement les étages. Les chevaliers purent admirer toute la beauté des jardins du château. Les Fandragores avaient parfaitement su combiner la modernité des bâtiments et la nature. La reine se leva dès que les chevaliers apparurent sur la terrasse :

- Sloane ! s'empressa Cytise.

Les deux souverains prirent place. Les six chevaliers se mirent à l'écart tout en gardant un œil sur le roi, Camélia campait la même position. Neth n'avait pas encore intégré les rangs des Chevaliers de la Lumière.

- Alors, comment se porte la plus magnifique de toutes les reines ?

- La plus magnifique après ta charmante épouse, rectifia Cytise. Je me porte bien. Tu es un homme occupé. Je propose qu'on aille à l'essentiel.

- Je t'écoute, se résigna alors Sloane.

- Une légion de mercenaires marche vers nos terres, débuta Cytise. Elle pourrait rapidement devenir un problème. Il est impératif que nous statuions sur la meilleure manière d'appréhender cette situation.

- Je suis au courant. Mes hommes ont infiltré leur rang, certains d'entre eux parlent à peine notre langue.

- Je sais de source sure qu'ils sont au service de Haki, affirma Cytise.

- Ce ne sont que des suppositions. Ils peuvent être en marche pour un autre roi. Depuis peu, beaucoup s'intéressent aux terres par-delà le feu et la glace. Cela ne devrait cependant pas nous empêcher de prendre des dispositions. De combien de Fandragores disposes-tu au cas où nous devrions entrer en guerre ?

- Sloane, cela fait des années que nous tenons la frontière. Nous nous sommes suffisamment battus pour nous et pour toi. Au lieu de protéger tes terres, tu envoies tes meilleurs hommes vers le Nord ? Que cherches-tu au-delà de la glace et du feu ?

- T'ai-je une fois demandé ce que tes prêtresses font dans la forêt de Bois d'Argent ? répliqua Sloane. Je suis le souverain de Varda et je déploie mes troupes comme bon me semble. Il t'est aisé d'accuser les autres.

- Tu as raison. Que chacun s'occupe de ses propres affaires ! Toujours est-il que je compte rappeler mes troupes à la fin du mois.

Sloane ne semblait pas accueillir cette nouvelle avec enthousiasme.

- Je te remercie pour ton tact. Au point où nous en sommes, disons nous les vérités. Varda n'a jamais eu besoin de la protection des Fandragores. Nous prenons la relève au Sud à partir du mois prochain. Dis moi, le repli des troupes d'Anisville ne serait-il pas en lien avec l'Ora ? risqua le roi.

- Je ne vois absolument pas de quoi tu veux parler, mentit la reine.

Cytise eut beau faire preuve de calme, ses cils battaient plus vite.

- Tu fais comme si la malédiction du prince des Abysses t'était égale. Te connaissant, tu prépares la guerre. Cytise, je suis persuadé que tu en sais plus sur l'Ora, que tu ne veuilles le dire.

- Il est de notoriété publique que les Fandragores ont renoncé à l'Ora, confia Cytise. Elle obéit à sa volonté propre et elle peut être n'importe où. Pour en revenir à l'objet de notre entrevue, après mure réflexion, je compte porter l'affaire au prochain Conseil des Sages. Je vais solliciter l'Armée fédérée.

- Il s'agit de la plus grande institution qui régit notre monde, rappela Sloane d'un air déconcerté. Présenter une telle requête risquerait de provoquer une situation de panique. Ce choix ne me semble pas judicieux, car une grande partie de cette armée est déjà mobilisée.

- Je le sais. Aucune entreprise ne me semble trop risquée afin de nous protéger.

- Beaucoup de soupçons pèsent sur toi. Ma reine, le procès que tu veux intenter contre Haki sera peut-être le tien, prévint Sloane. Je t'en prie, renonce.

- Je tente ma chance, s'entêta Cytise.

- Ta décision semble prise. Je ne vois pas l'utilité de ma présence.

Cytise se leva, et invita Sloane à la suivre au balcon.

- Varda sera naturellement en première ligne à vos côtés si jamais les Sages acceptaient de mobiliser l'Armée fédérée. Tu es préoccupée. Cela est-il suffisant pour expliquer ta froideur à mon égard ? murmura le roi.

Cytise lui lança un regard fatigué :

- Le moment n'est pas propice pour parler de ce sujet.

- Ce n'est jamais le bon moment, Cytise. C'est facile pour toi de rejeter la faute sur moi. Dois-je te rappeler que c'est bien toi qui m'as jeté comme un chien ?

- Varda n'aurait jamais voulu d'une reine Fandragore, qui de surcroit ne te donnerait jamais d'héritiers, se défendit Cytise.

- Tu sais que seuls les enfants de ma sœur peuvent prétendre au trône. Elle me rappelle tous les jours que son bon à rien gouvernera après moi.

- Arrête de malmener cet enfant. Thomas n'a que cinq ans ! rappela Cytise.

- Assez pour que je sache qu'il fera un piètre souverain. Il fait de la broderie et il prend du thé, s'effara Sloane. Bref, Cytise, arrête de te faire une raison.

- Le temps nous a changées tous les deux, répondit Cytise avec amertume.

Le regard de Sloane traduisait sa déception. Ses mains tremblaient. Il les passa dans ses cheveux pour éviter de toucher la peau délicate de la reine. Cytise, incapable de supporter le regard du roi, détourna les yeux. Sloane n'insista pas. Il prit la main de Cytise, et y déposa un baiser sans la quitter des yeux. Il s'en alla, les chevaliers sur les talons.

- Ma reine, est-ce que tout va bien ? s'inquiéta Camélia.

Incapable de se retenir, la souveraine fondit en larmes sur les épaules de son amie. Camélia se contenta de serrer la reine en sanglots.

- Je croyais avoir dépassé tout ça, confia Cytise.

- Ma reine, Sloane ne mérite pas vos larmes et encore moins votre amour. Le dernier geste noble qu'il puisse faire sera d'être à nos côtés pour mener la bataille.

Sloane regagna son carrosse d'un air contrarié. Les six chevaliers sellèrent leurs chevaux à l'avant. La procession engagea alors la cadence sous les regards admiratifs des Fandragores. Le passage des chevaliers représentait pour eux un spectacle fort plaisant.

Ofelia, la Fille Fleur. Tome1: Origines.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant