Hemma découpa les ognons. Elle remarqua en même temps Ryū arrêté à l'embrasure de la porte. Elle préféra l'ignorer et continuer à manœuvrer le couteau. Alwin se sentit de trop. Il fit semblant d'avoir oublié quelque chose puis il s'éclipsa. Hemma ne pouvait plus ignorer Ryū qui se tenait à présent à côté d'elle.
— Que fais-tu ici ? Tu n'avais pas besoin de t'exposer.
— Ofelia aussi a pris des risques, à une différence près : tu es prêt à donner ta vie pour elle ! s'effara Hemma. Ryū, elle sort de nulle part. Nous ne savons rien d'elle. Tu es trop complexe pour qu'elle puisse te comprendre.
Ryū s'interloqua. Hemma continua un brin moqueur :
— Elle va vite se lasser de toi et de ton caractère.
— Écoute bien Hemma, confessa Ryū, car c'est la toute dernière fois que nous avons cette conversation. Je retournerai à Val Este après ce voyage. Ofelia viendra avec moi. J'aurai toute une vie pour apprendre à la connaitre.
— Vraiment ? tonna Hemma scandalisée.
Elle chancela plusieurs fois sur elle-même avant de revenir à la table. Elle réfléchissait à une manière de faire encore plus de mal à Ryū. Elle voulait qu'il se sente aussi mal qu'elle pût l'être en ce moment. Un sourire démoniaque naquit soudainement sur ses lèvres. Elle pensait avoir trouvé.
— Tu comptes l'épouser, très bien. Tu dois cependant savoir que votre amour est impossible. Tu seras roi, un jour. Quel peuple voudrait d'une reine volage, inféconde et éphémère ? La réputation des Fandragores n'est plus à faire.
Ryū resta silencieux. Il se décolla nonchalamment du mur et quitta la cuisine. C'est tout juste s'il esquissa un mouvement de tête exaspéré. Cela mit Hemma hors d'elle. Elle brisa quelques bocaux dans un accès de colère. Ryū ne revint cependant pas en arrière malgré ses sommations. Il se pressa même de sortir avant de commettre une bêtise.
— Ça va ? s'inquiéta Abel.
Il avait tout entendu depuis le perron.
— Oui, mais tu la connais. Elle trouve toujours le moyen de piquer où ça fait mal.
Ryū fixa Alis et Vita occupées à jouer autour de la table déjà dressée.
— Je suis fier de toi. Tu n'as même pas prononcé un mot gentil, comme tu sais pourtant si bien le faire.
— Et ce n'est pas l'envie qui m'a manqué, confessa Ryū.
Il prit appui contre la balustrade aux côtés d'Abel.
— Ryū, Ofelia te fait du bien et ça se sent sur toi. Cela vaut tous les sacrifices du monde. Au lieu de rester là à discuter avec moi, n'as-tu pas une jeune dame à consoler ? rappela Abel. Va voir au bord de la rivière.
Ryū donna une tape amicale sur l'épaule de son ami et il descendit dans les bois. Les eaux de la rivière ressemblaient à une étendue de diamant sublimée par le coucher du soleil. Il n'eut aucun mal à retrouver Ofelia assise sur les berges, la tête posée sur ses genoux. Son regard mélancolique fixait la rivière. Ryū avança en silence et prit place auprès d'elle.
— Comment va ta cheville ?
— Bien, répondit Ofelia.
— Ofelia, je te présente toutes mes excuses.
— Hemma n'a pas l'air de beaucoup m'apprécier. Qui est-elle ? demanda Ofelia.
— C'est la cousine d'Abel. Nous avons pratiquement grandi ensemble. Il fut un temps où nous étions tous les quatre les meilleurs amis au monde. Nous étions petits et les choses demeuraient simples. Le père des jumelles vouait une haine viscérale aux Créatures Magiques. Ironie du sort, ses filles, nées deux ans avant Abel, ont cependant hérité de pouvoirs magiques. Il s'agissait dans leur famille d'une première depuis cinq générations.
Pour l'amour d'un père égoïste, Hemma s'est transformée en cette personne que tu voies. Le point de rupture s'est produit le jour où elle m'a rappelé que j'étais contre nature. Elle voulut se racheter une conduite, mais que faire avec une personne qui a une si piètre opinion des autres ? Si Papa n'était pas l'homme le plus riche de Port Brillant, m'adresserait-elle encore la parole ? Ne te sens pas visée, elle cherche à m'atteindre.
— Ainsi, tu préfères la dinde ? demanda Ofelia, un brin de malice dans la voix.
— Non. En vérité, je déteste ça, sourit Ryū. Il cacha son visage derrière ses mains. Elles étaient couvertes de bleus à la suite de sa bagarre. Tout est parti d'une vieille histoire avec Abel. C'était au Bal des Finissants, je te raconterai une autre fois si tu veux.
— Tu es allé à un bal ! demanda Ofelia avec curiosité.
— Et toi ? N'es-tu jamais allé à un bal ? s'étonna Ryū.
Il vit alors le regard honteux d'Ofelia, il arrangea les cheveux de la Fandragore, et il imagina sa réponse :
— Ne t'inquiète pas, on ira à beaucoup de bals ensemble.
— Ça ressemble à quoi, un Bal des Finissants ?
— Tu n'as pas manqué l'évènement de ta vie.
— Tu ne sembles pas friand de ces soirées. Je pense plutôt que tu es allé sans cavalière, raison pour laquelle tu as détesté ça, sourit malicieusement Ofelia.
— Tu n'y es pas du tout, s'empressa de répondre Ryū d'un ton qu'il voulait amusé.
La Fandragore eut le privilège de voir le rouge lui monter aux joues.
— Étais-tu donc aussi célèbre que ça ? en déduisit Ofelia. Allez, viens.
Ofelia invita de la main Ryū à poser sa tête sur ses genoux. Les yeux de Ryū avaient viré au vert acier. Il profita de la douceur de la peau d'Ofelia tout en la regardant avec admiration. Le doux parfum de la Fandragore le berçait et lui procurait une sensation de bienêtre absolu. Ofelia prit appui sur ses mains et elle regarda le soleil disparaitre derrière la montagne.
Ce jour, Ofelia découvrait un nouveau sentiment qu'était la jalousie. Elle savait également qu'elle devrait le côtoyer. Le bon côté, Ryū était revenu vers elle. La Fandragore se remettait en question, se battait-elle suffisamment pour garder l'amour de Ryū ?
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Ofelia, la Fille Fleur. Tome1: Origines.
FantasyLes six magiciennes originelles créèrent l'Ora, une arme conférant le contrôle sur la vie et promettant l'immortalité, scellant leur alliance dans le sang et provoquant l'émoi parmi les êtres. Pendant des siècles, une guerre farouche éclata pour s'e...