Chapitre 10 : l'Oracle (Partie 3).

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Là, la Fandragore grelotait de froid. Le prince sortit une couverture au-dessus d'elle pour l'épargner de la pluie. Ofelia était capable de sentir sans se retourner la chaleur familière et rassurante de Ryū. Sa force était plus puissante, plus intense, mais elle restait toujours la même.

— Je suis là, à présent, murmura une voix chaleureuse dans l'oreille d'Ofelia.

Elle se retourna et se jeta dans les bras de Ryū. La Fandragore le serra de toutes ses forces avec la peur constante de le perdre une nouvelle fois. Ryū souleva le menton d'Ofelia. Il l'obligea à plonger son regard dans le sien.

— Je croyais que tu serais heureuse de me revoir !

Entre sanglots et rires, il lui devenait difficile de démêler l'expression d'Ofelia.

— Je croyais qu'on t'avait tué, sanglota Ofelia.

— Comme tu peux le voir, je suis là.

Ofelia tressaillit lorsque la main chaude de Ryū se posa sur sa joue. Il se rapprocha d'elle et l'embrassa avec passion. Ofelia s'abandonna. La pensée que ce baiser pourrait être le dernier lui donnait plus d'ardeur. Elle sentait la langue chaude de Ryū contre la sienne et ses mains descendre le long de sa hanche. Le tissu humide se confondait presque avec la peau d'Ofelia. Elle le laissait explorer les répliques de ses courbes parfaites. C'était la première fois qu'il la touchait d'aussi près.

Un courant électrique traversait tout le corps de la Fandragore et explosait dans son ventre. Les mains de Ryū remontèrent délicatement le long de la colonne vertébrale d'Ofelia puis ils s'immobilisèrent au bas de son dos. Son subconscient reprit le dessus et il s'arrêta aussitôt. Ses lèvres se détachèrent contre sa volonté. Ofelia ouvrit les yeux. Elle redescendit de sa transe. Le vert avait complètement disparu des yeux de Ryū. Un noir ardent de passion l'avait remplacé.

— Il faut partir, reprit Ofelia d'une voix tremblante.

Elle déposa un baiser chaste sur la joue de Ryū et elle avança. Des arbres contraints de se soumettre à la puissance du vent et de la pluie entravaient le sentier devant eux. La rivière en crue interrompit leur avancée quelques mètres plus loin. Un vieux tronc d'arbre à peine visible dans les flots subsistait.

— Je n'aime pas ça, confia Ryū avec inquiétude.

— Moi non plus, mais c'est le seul moyen à moins de faire un détour de plusieurs kilomètres, expliqua Ofelia.

— Très bien. Je passe en premier, proposa Ryū.

Il porta les deux sacs et il s'engagea sur la passerelle. Il réussit à atteindre l'autre rive sain et sauf malgré quelques vacillements.

— C'est bon ! Tu peux venir ! s'écria-t-il depuis l'autre rive.

Ofelia s'engagea avec la peur au ventre. Son regard ne parvenait pas à se détacher des rouleaux d'eau qui déferlaient sous ses pieds. Elle sentit bientôt une boule monter le long de son estomac. Incapable de se maintenir en équilibre, la Fandragore perdit l'équilibre et tomba à l'eau. Ryū n'entendit qu'un hurlement déchirant et des appels à l'aide. Il se débarrassa des sacs et s'engagea à nouveau sur la passerelle. Il réussit à la rejoindre. La Fandragore s'accrochait farouchement au tronc d'arbre.

— Donne-moi la main ! s'écria-t-il.

Ofelia se hissa aussi haut que possible, mais elle ne parvint pas à saisir la main tendue de Ryū. Elle s'épuisa après plusieurs tentatives vaines. L'eau troubla sa vision. Elle s'engouffrait dans sa bouche, ses narines et ses yeux. Ryū l'encourageait infatigablement. Leurs doigts s'effleurèrent enfin après une énième tentative. Il la hissa aussitôt hors de l'eau d'une seule main puis il la porta sur ses épaules. Le vieux tronc frémit. Ryū franchit la passerelle en quelques enjambées.

Le vieux tronc se rompit avec fracas dès que Ryū posa le pied à terre. Les deux morceaux dévalèrent les rapides et s'éloignèrent tels de vulgaires bâtonnets. Ryū déposa la Fandragore sur l'herbe et la serra longuement. Ryū attendit qu'Ofelia libère le bout de sa chemise. Il se redressa et lui tendit la main. La marche des deux voyageurs reprit.

L'orage se calma une demi-heure plus tard. Les arbres déracinés et les flaques d'eau demeurèrent les témoins muets de la violence de l'averse dans les rues de Port Brillant. Le petit pont était réapparu et la rivière avait repris son cours normal.

Camélia collait son visage à la fenêtre. Elle y laissa une trace de buée. La Fandragore surveillait attentivement le moindre changement qui venait de l'extérieur. D'un tempérament inquiet, elle accomplissait les cent pas entre la fenêtre et la salle de séjour. 

Elle vit soudainement des formes bouger au loin, puis elles s'affirmèrent progressivement. L'Oracle était accompagné d'une trentaine de cavaliers. Ils formèrent bientôt une procession devant la maisonnette.

— Lui ? s'étonna Camélia, le visage plaqué contre les carreaux de la fenêtre.

Le visage de la Fandragore transpirait de sueur malgré le froid. Ses poings serraient les volants de sa robe lavande. Camélia plongea soudainement dans le passé, et tout s'éclaira pour elle. Ses yeux s'écarquillèrent d'étonnement et de surprise. Ce qui fut autrefois des bruits d'auberge se concrétisait sous ses yeux.

Le visage de Camélia s'envahit de déception et d'amertume. Elle regagna sa chaise et elle attendit. La porte d'entrée céda bientôt avec fracas. Un courant d'air se réfugia fugacement à l'intérieur et éteignit la bougie de l'entrée. L'Oracle entra, et il laissa derrière lui une trainée de boue. Son regard glacial se posa sur Camélia.

— Commandeure, quelle immense joie de te revoir après tant d'années ! Tu es magnifique et la maternité te va si bien.

L'Oracle inspecta l'escalier et le salon. Il ne voyait pas Ofelia. Il ne sentait pas sa présence non plus. Connaissant Camélia, il déduisit qu'elle avait pris les devants.

— Tu cherches quelque chose ou quelqu'un, demanda l'Esprit hostile.

Sa poitrine galbée se soulevait frénétiquement.

— Les deux.

À cette réponse, Camélia décocha une flèche d'un arc de lumière. Elle brisa la fenêtre et toucha un cavalier en plein cœur. Le malheureux fit un bond de plusieurs mètres avant de s'écraser dans la boue. Ses compagnons sautèrent aussitôt à terre et affluèrent vers la maisonnette, en brandissant leurs épées.

Camélia livra une lutte acharnée, seule contre tous ses assaillants. Sa magie détruisit une bonne partie de la maison. La Fandragore prenait maintenant un large avantage sur ses assaillants. L'Oracle divisa alors ce qui restait de ses hommes en deux groupes. Le premier fit un front commun contre la Fandragore et le second rechercha activement la carte. Ils renversèrent tout dans la maison.

Il décida finalement d'affronter lui-même la Fandragore à cause de l'incapacité de ses hommes à la terrasser. Le combat se poursuivit à l'étage entre les deux antagonistes. La difficulté de Camélia ne tarda pas à se faire sentir, car sa magie devenait inefficace devant un adversaire qui invoquait des forces obscures.

— Tes nouveaux pouvoirs sont surprenants, confirma Camélia. Quand je t'ai connu dans une autre vie, tu n'étais pas un Oracle et la malédiction ne t'accompagnait pas.

— Ce que tu appelles malédiction, égale pour moi à une renaissance.

— Qui est ton maitre ? Réponds, chien !

L'Oracle se contenta d'un sourire silencieux. Il déclencha à son tour une boule d'énergie. L'attaque partit en rafale et toucha la Fandragore à l'abdomen. Camélia n'eut pas le temps de réagir. Elle s'écroula. Une mare de sang violacé se répandit tout autour d'elle. L'Oracle marcha tranquillement vers sa cible à terre devenue impuissante. Il se délectait de son agonie.

Ofelia, la Fille Fleur. Tome1: Origines.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant