Chapitre 1 (réécrit)

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La fin du mois de mai 2024 est une période compliquée pour le camp présidentiel. Les élections européennes arrivent à grand pas, et tous les sondages prévoient une plate humiliation pour le parti du Président. Les estimations envisageaient une victoire écrasante du Rassemblement National, sous l'égide de leur tête de fil, Jordan Bardella.

Gabriel Attal n'y croyait pas. Comment pouvait-on placer tant d'espoirs dans un parti si réactionnaire ? Non, il n'y croyait pas, et il n'y croit toujours pas. Premier Ministre adulé après un départ sur les chapeaux de roues durant son mandat de Ministre de l'Éducation, c'est lui qui porte la campagne européenne sur ses épaules, la faute au manque de charisme de leur candidate. Hayer est aussi désolante qu'insipide, une mauvaise oratrice, et pour couronner le tout : Bardella la méprise, à peu près comme il méprise tout le monde. Puisqu'il faut un adversaire à sa taille, c'est Gabriel qui endosse ce rôle sur la base du volontariat. 

Lorsqu'on lui a proposé, dans le cadre de cette campagne, un débat avec son ennemi politique de toujours, le jeune Premier Ministre a accepté sans hésiter. Attal estime être un homme politique aguerri malgré son jeune âge, peu coutumier dans la sphère politique, mais cela ne devait pas être l'avis général : la semaine précédant ce débat, on l'a soumis à tout un tas d'exercices d'éloquence, des simulations oratoires, entraînements pour la gestion de son langage corporel... Barbant. Il a même appris quelques répliques fielleuses qui, s'il parvient à bien les envoyer, affaibliront son grand rival.

Jordan Bardella est un homme provocateur et arrogant. Un joli minois, cruellement banal mais bien câblé, parsemé de grains de beauté qui lui ajoutent un certain charme ; beaucoup de son succès repose, sans aucun doute, sur son enveloppe charnelle. Mais en dessous de ce physique assurément alléchant, Gabriel sait que rien de bien mirobolant ne s'y trouve. Un vide intellectuel aux sous-tons réactionnaires, avec l'amertume du fascisme et de l'autoritarisme... Mauvais cocktail, il n'y a aucun doute. Le verre est joli, le breuvage aussi, attrayant... Mais lorsqu'on y trempe les lèvres, on se rend compte que son contenu est imbuvable. Voilà, c'est ça : le président du Rassemblement National est imbuvable.

C'est empli d'une confiance sans égale que le Premier Ministre pénètre dans les locaux de la chaîne télévisée organisatrice de leur joute oratoire. Il fait d'abord un saut dans la loge de maquillage, qu'il surnomme assez justement la « pièce de ravalement de façade » puisqu'il en ressort changé, l'air relativement reposé. Les cernes qui placardent habituellement son visage sont pratiquement totalement camouflés sous une épaisse couche d'anti-cerne. Du moins, c'est la réflexion que Gabriel se fait en ne pouvant s'empêcher de regarder son reflet dans les vitres du long couloir qui le mène à sa loge privée, mais ce constat n'est pas unanime, à en croire l'accueil que lui fait son assistante :

- Gabriel, lui lance-t-elle alors qu'il est à peine rentré dans la salle, penses-tu à dormir, parfois ?

- Quel accueil ! S'exclame le ministre en se laissant tomber aux côtés de la jeune femme, sur le canapé.

Camille Marrou, sa tendre assistante, dans toute sa splendeur et son sarcasme : la voici. Le jeune homme est habitué, à force. Il l'a engagée comme assistante parlementaire lors de son premier mandat de député, et depuis, il ne l'a plus lâchée. Plus qu'une collaboratrice, Camille est devenue son amie, et probablement la plus chère. Il faut avouer que Gabriel n'a pas beaucoup d'amis, de toute façon. Le pauvre est trop pris par le travail, croulant et fatiguant, et s'il bavarde avec tout un tas de monde, il sait que le monde de la politique est un théâtre trop dangereux pour prétendre à tisser des liens amicaux.

La jeune femme est une jolie brune ridiculement petite. « Elle est courte sur pattes » aime penser le Premier Ministre quand il s'agit de la décrire. Sa taille ne correspond pourtant pas au bagout, intempestif et éternellement railleur, dont elle sait faire preuve. Il l'adore.

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