Chapitre 5

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Tout fonctionne comme prévu pour le plan du camp présidentiel. Les regards de ceux qu'on appelle les amants maudits ont encore été remarqués et ont enflammé les Français. La presse people elle-même s'est mise à reprendre ce surnom exagéré pour parler d'eux et de leurs coups d'œil langoureux. Au Monde, Olivier Faure confie qu'il s'était senti « très mal à l'aise face à leur complicité évidente (...) et particulièrement mis à l'écart à cause de cela ». Il accuse également les deux candidats de jouer de cette « relation, amourette, ou peu importe ce que c'est » pour duper les Français. En effet, la gauche crie au complot, et ont-ils véritablement tort ?

Puis après le complot vient la désillusion pour Gabriel : une nouvelle défaite de son camp, une énième victoire pour Jordan. Il a bien peur que le président du Rassemblement National ait vu juste, à savoir que Matignon sera bientôt son quartier à lui, et non plus celui de Gabriel. Le soir même, il n'a pas de nouvelles de Jordan, qui est probablement trop occupé à fêter cette première victoire. Attal, lui, apparaît à la télévision pour tenter de rallier les électeurs à sa cause. Sa mine fait peine à voir tant la déception transparaît sur son visage. Le lendemain, ses cernes n'ont jamais été si prononcés, et cela détonne avec la pâleur de son visage. Une réunion de crise le fait lever à 6h et le maintient jusque tard dans la soirée assis dans une des salles de l'Elysée. Parfois, la fatigue le fait dévier vers des pensées plus agréables, comme... les mains de Jordan l'empoignant par les épaules, sa propre main pinçant la légère poignée d'amour de Bardella. Quand il repense à cet épisode, une terrible envie de sourire s'empare de lui, mais Gabriel parvient à s'en débarrasser non sans mal.

Seulement, Gabriel s'en veut d'avoir ces pensées que la majorité de son camp considérerait comme contre-natures, voire contre la République. Il se fustige mentalement de commettre un tel péché républicain : le premier ministre est rendu si bas qu'il fantasme sur la première figure française d'extrême droite. Si ça, ce n'est pas avoir touché le fond, Attal ne souhaite pas savoir ce qu'est le fond. À côté de cela, il est vexé, et n'a plus jamais envie de voir Jordan. La rumeur des amants maudits lui a desservi, à lui et à son camp, alors qu'elle a gonflé la côte de popularité de Bardella. Comme Camille l'a déjà dit, la conscience collective préfère les badboy, et Gabriel n'est pas parvenu à s'imposer comme tel aux yeux des Français. Comment aurait-il pu, alors que dans le privé, il sait très bien que Jordan possède un terrible ascendant sur lui ?

- Il faut continuer cette histoire d'amourette ridicule, somme le président de la République, assis en bout de table.

Cette phrase fait revenir Gabriel sur Terre d'une façon désagréablement brutale, lui qui était parti bien loin dans les méandres de ses pensées. « Continuer cette histoire d'amourette ridicule ?! » pense-t-il. Tous les yeux de la salle oscillent entre Gabriel, et le président : l'assistance est confuse.

- L'avenir du pays est entre vos mains, Gabriel. Tout le monde l'a déjà constaté, Jordan Bardella est une bombe à retardement. Il n'est pas envisageable qu'il soit investit comme premier ministre, pourtant je crains ne pas avoir le choix si son camp obtient la majorité absolue. Si je lui refuse la place, alors nous risquons la guerre civile.

Emmanuel Macron marque une pause afin que toute l'assistance puisse saisir la gravité de ses propos.

- Cette amourette est notre seul lueur d'espoir. Laissons les jours passer, continuez vos jeux de regards et tout ce que vous voulez encore, tant que vous leur faites croire que Jordan tend à délaisser son camp pour le notre, pour vous, Gabriel. Si les sondages présagent encore une majorité écrasante du Rassemblement National vendredi, alors je devrais prendre une décision, que j'annoncerais vendredi au soir.

« Quelle décision ? » la question est en suspens dans l'esprit de Gabriel, comme elle doit l'être dans ceux de tous les membres présents ici. Personne n'ose la poser, mais elle flotte dans l'air, assez palpable pour que le président la ressente. Tout le monde gère cette nouvelle comme il peut, car personne n'aurait envisagé une telle intervention du président quant au plan de communication entre Bardella et Attal. Quand l'agitation finit par s'éveiller chez les participants de la réunion, le président se lève et annonce :

Valse PolitiqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant