Chapitre 31

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Gabriel ne se souvient pas de grand chose, mais il flotte dans une atmosphère cotonneuse et agréable. Sa crise d'angoisse a empiété sur ses capacités sensorielles, à tel point que sa vue en est devenue brouillée de tâches noires, et ses oreilles, remplies d'un acouphène particulièrement haut en décibels. Le jeune homme se rappelle bien de ses pieds qui frappaient le sol à force de courir, puis, tout s'est arrêté subitement et le goût de la terre a à nouveau fait surface dans sa bouche. Au travers des tâches noires virevoltantes, il se rappelle avoir entraperçu Jordan penché sur lui, le visage drôlement triste. Une chaleur bizarre se répandait dans l'épaule de Gabriel sans qu'il ne comprenne d'où elle provient. Finalement, le brun s'entend dire « je t'aime » à Bardella, puis, plus rien. 

Il est entré dans un vide intersidéral fait d'obscurité où il n'entendait que cet acouphène criant. Ce n'était pas désagréable d'être ici : au début, Attal a eu rudement froid, mais c'est vite passé. Le jeune homme a eu l'impression d'être bringuebalé au milieu de cette dimension vide, puis la chaleur s'est rétablie et le climat est devenu duveteux, agréable. Parfois, un débris de l'univers lui heurtait l'épaule droite, et cela lui provoquait une douleur sourde, mais ça finissait par passer. Peut-être y avait-il des turbulences sur le chemin vers le Paradis, ce qui explique ces secousses et ces débris. Gabriel n'en sait rien et s'en fout car son esprit lui semble trop lointain pour réfléchir ; il ne parvient qu'à ressentir quelques trucs, par-ci, par-là. En tout cas, il est pressé d'arriver à bon port pour enfin être en paix.

Gabriel ne part pas au Paradis, encore moins aux Enfers. Il n'a même pas risqué d'y aller puisqu'il a été pris en charge très rapidement. Pourtant, Attal plane complètement.

Jusqu'à la dure re-descente. 

C'est une douleur cuisante dans l'omoplate, irradiant dans son épaule et son pectoral, qui le fait tomber en vol. Ses sens reviennent peu à peu : il entend un bip régulier, mais aussi des voix basses. Un tissu colle à la peau moite de ses jambes. Son bras gauche le gratte terriblement au creux du coude. Ses paupières sont si collées que ce scellement lui parait insurmontable, et il lui faut une éternité pour parvenir à les ouvrir ; immédiatement, ses pupilles sont agressées par ce trop-plein de lumière qui dénote de l'obscurité du vide intersidéral dans lequel il était. Dans lequel Gabriel pensait être, dans un convoi divin vers le Paradis.

Son visage grimace, tant sous le coup de la douleur, que sous le coup de cette agression lumineuse. 

- Jordan ? lâche Attal, mais sa voix relève plutôt d'un couinement éraillé que d'une voix virile. 

Il ne parvient pas à bouger la tête, car son cou est immobilisé, alors cela le fait paniquer un peu plus. 

- Gabriel ! 

Ce n'est pas Jordan qui lui répond, malheureusement. C'est Camille, qui court à son chevet.

- J'ai cru que tu allais mourir ! s'écrie-t-elle, les larmes aux yeux.

- Je ne suis pas mort, constate-t-il avec déception. Et Jordan ?

Gabriel parvient à tourner très légèrement la tête vers elle pour mieux la regarder. Ses cernes sont atroces, et chose inédite, la jeune femme est entièrement au naturel : pas un poil de maquillage. Elle qui est si coquette d'habitude. Attal l'implore du regard en redoutant la réponse qu'elle va lui offrir. 

- En vie aussi, lui assure Camille.

- Mais pas ici, complète Gabriel, laconique. 

- Non, en effet. 

Du coin de l'oeil, il observe cette épaule qui le torture de douleur. Elle est entièrement bandée, mais le blanc immaculé des compresses est taché de sang coagulé. Petit à petit, le brun parvient à remettre les évènements. On lui a tout bonnement tiré dessus, comme si c'était un vulgaire fugitif ou un évadé de prison. On lui a tiré dessus comme on tire sur les animaux lors d'une chasse à la courre. Néanmoins, la première chose qui a inondé son esprit dès lors qu'il a émergé de son rêve cotonneux, c'est Jordan. Bardella inhibe toutes ses capacités de réflexion. Il devrait réagir en colère de s'être fait tiré dessus, demander qui lui a fait ça, s'inquiéter de ce qu'il se passe au dehors. Mais non. Il n'y a que Jordan. 

Valse PolitiqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant