Chapitre 24

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L'aube réveille Jordan en premier. Une fois encore, ils n'ont pas fermé ces fichus volets, alors l'éveil aux aurores est inévitable. Le jeune homme ouvre doucement les yeux après cette dure nuit, et à quelques centimètres de son visage se trouve celui de Gabriel qui, enfin, semble paisible. Son ecchymose a viré vers un violet aux sous-tons verdâtres.

Ils n'ont pas bougé de la nuit, pas même de quelques centimètres, à l'exception de Gabriel qui a passé une jambe sur celles de Bardella. Leurs deux corps sont toujours blottis l'un contre l'autre, et leurs respirations demeurent calquées l'une sur l'autre, peut être même qu'il en est autant pour leurs battements de cœur. Jordan espère que cette journée sera meilleure que la veille, mais ça ne devrait pas être bien difficile, à moins que les cieux décident de le lapider avec sa bêtise.

Même si le jeune homme prend le plus grand soin à ne pas bouger afin de ne surtout pas réveiller Gabriel, celui-ci finit par ouvrir de petits yeux fatigués, mais qui ont meilleure mine après cette nuit de repos. Ils se regardent, et Attal sourit : il ne l'a pas lâché, il l'a tenu jusqu'au bout du monde de leurs songes agités.

- Bonjour, chuchote Gabriel.

- Bonjour, rétorque Jordan sur le même ton. Ça va mieux ?

Le jeune homme fait une grimace, et il semble méditer sur les mots à utiliser, alors Bardella attend sa réponse :

- Disons que je me suis fait une idée.

- Quelle idée ?

- Je n'ai pas envie de te répondre, puisque toi, tu ne me réponds que des choses absurdes.

La voix enfantine de Gabriel, son regard mi-triste, mi-espiègle, laisse penser à Jordan qu'il y a une brèche à saisir pour oublier la dureté de la veille et enfin, oui enfin, continuer sans se soucier à tout prix de mettre des mots sur tout. Sans qu'on ne l'oblige à verbaliser des choses qu'il ne comprend pas, et qu'il n'a pas envie de verbaliser.

- Dis moi, l'intime-t-il en pinçant gentiment la poignée d'amour de Gabriel, comme celui-ci lui l'a déjà fait dans le passé.

Le jeune homme n'est pas dur à convaincre, mais la réponse qu'il lui donne fait instantanément regretter à Bardella d'avoir insisté.

- Que tu n'aimeras jamais rien d'autre que l'idée que, moi, je t'aime., lâche Attal en le regardant dans les yeux.

On dirait qu'il le provoque, comme s'il avait potassé cette réplique toute la nuit en la considérant sous toutes ses facettes. C'est à croire que Gabriel a réfléchi à comment il pourrait faire réagir Jordan, et c'est finalement peut-être le cas, mais l'idiot du village se contente d'encaisser la dureté de cette phrase sans réagir. Il aimerait que Gabriel en dise plus, qu'il le secoue davantage, car ça, ce n'est pas suffisant. Ça échauffe son esprit, oui, certes... le jeune homme a bien envie de lui dire que c'est faux, mais... il n'aura rien de plus à apporter que ça.

Jordan est probablement un détraqué comme le lui a plusieurs fois dit Camille. Il n'y a qu'un détraqué pour imaginer que la phrase d'Attal est une provocation pour le faire réagir, alors que Gabriel ne fait qu'être franc, pointant justement cet élément absolument légitime lorsqu'on ne sait pas le bordel qui habite l'esprit de Bardella.

- Tu ne dis rien ? lui demande Gabriel.

- Ce que tu dis est faux. balbutie Bardella, qui perd de sa superbe.

- À quel point ? ose demander le jeune homme.

Bardella n'en sait rien, pas plus que la veille ni l'avant-veille, ni plus que la semaine dernière. Pourtant, son corps s'agite, comme si lui en savait davantage que sa conscience, alors Jordan réagit comme à son habitude : des gestes, toujours des gestes, et jamais de réponses claires. Il embrasse Gabriel avec fougue, tout en faisant bien attention à ne pas être brute, afin que le jeune homme puisse suivre la cadence d'une valse tranquille menée par leurs bouches.

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