Chapitre 39

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Les trois hommes présents dans la cour voient Bardella cavaler comme un diable vers la voiture stationnée juste devant le perron. Quant à Jordan, durant sa cavale qui ne lui prend pas plus de trente secondes, il réfléchit activement à qui attraper en premier : Delogu, qui ramène un traître, ou le traître lui-même.

Un traître, c'est tout ce qu'est ce vendu de Séjourné. Un traître qui savait probablement tout, à commencer par les caméras et la façon dont elles allaient être utilisées pour nuire à Gabriel et Jordan. Un fourbe qui a souri à Attal, et qui a tenté de flirter avec lui devant Bardella lors de la soirée dédiée à célébrer leur entrée en poste, alors qu'il était au courant de tout. Un opportuniste qui ne pointe son nez que quand la tendance s'inverse, car sinon, pourquoi serait-il là ? Lorsqu'on sait que des personnalités sulfureuses comme Philippe Poutou, Marine Le Pen ou Jean Luc Mélenchon ont rejoint sans aucune hésitation l'UFS, alors que l'alliance était par définition opposée à tous leurs combats et idéaux, on ne peut pas considérer Séjourné autrement que comme un transfuge opportuniste.

Mais d'abord, qui a dit que c'était un transfuge ? Que fait-il là, au final, lui, le grand conseiller de l'incarnation humaine du Prince de Machiavel ? C'est absurde. C'est une folie.

C'est un traître qui a participé à la chute du pays, ainsi qu'à la décadence de Bardella et Attal. Pire encore : c'est un traître qui a côtoyé Gabriel pendant plusieurs années, qui l'a embrassé, qui l'a touché, qui a vécu avec lui, qui a partagé des moments sur l'oreiller avec lui. Voilà, c'est ça le pire : Séjourné a partagé un lit avec Gabriel, comme Bardella a partagé un lit avec lui. Cet ignoble personnage connaît chaque recoin d'Attal, chacun de ses grains de beauté, chaque pli marqué dans sa peau... assurément bien plus que n'en connaît Jordan, à ce stade encore frais de leur relation.

Non, c'est inacceptable. Il refuse d'être en présence d'un homme qui a vu Gabriel dans son habit de naissance, et à cela s'ajoute qu'il refuse d'être en présence de ce même homme qui a accepté, voire activement participé, à les diaboliser puis à les humilier.

Qui attraper en premier, alors, entre Séjourné, l'homme à abattre, et Delogu, qui ramène un traître dans la bâtisse de l'UFS ? Ces derniers jours, Bardella a développé malgré lui une certaine affection pour le Marseillais. Il l'apprécie, et surtout, il s'est mis à le respecter : terrible erreur au vu de la tournure actuelle, mais soit, c'est fait. D'autant plus que Sébastien est un sale fouineur, moqueur et provocateur, mais ce n'est pas un mauvais... Enfin. Maintenant que l'insoumis a ramené ce sale vendu opportuniste, Jordan n'en est plus très sûr. De toute façon, l'occasion pour lâcher ses nerfs est trop belle.

Il n'est plus le moment de réfléchir lorsqu'il arrive à la hauteur des deux hommes. Le Séjourné fronce violemment les sourcils en le voyant arriver, tandis que le Marseillais pince les lèvres en dodelinant négativement la tête. Delogu aussi s'est mis à apprécier Bardella, et surtout, il a fait l'erreur de le considérer inoffensif à partir du moment où il l'a vu transi d'amour pour Gabriel. Un homme aussi éperdument amoureux, d'un autre homme qui plus est, ne peut qu'être inoffensif.

C'est à cause de cette certitude que Sébastien ne réagit pas assez vite. Il s'attendait à ce que Jordan vienne faire son cinéma habituel de méchant froid et arrogant, un cinéma qu'il aurait balayé d'un bras en l'envoyant paître. Sauf que Bardella ne prend pas le temps de faire son show, comme il l'aurait fait en temps normal. Jordan empoigne le macroniste par les deux épaules en le tirant vers lui, et sans crier gare, le jeune homme lui envoie un coup de tête.

Comme ça, sans prévenir, le front de Bardella se heurte brutalement contre l'arrête du nez de Séjourné. La douleur qu'il ressent dans son crâne est immédiate : le choc a été violent, assez pour qu'il en ait quelques étoiles dans les yeux et les oreilles qui se mettent furieusement à siffler. Ses mains lâchent le traître en le repoussant vers la voiture, et l'autre s'échoue à moitié sur le capot du SUV noir, sonné. Quand il se retourne vers Delogu, car Bardella est toujours enclin à en découdre, il entend hurler derrière lui :

Valse PolitiqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant