Chapitre 9

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Gabriel n'a plus de nouvelles de ses proches depuis qu'il est rentré s'enfermer à Matignon vendredi au soir. Personne n'essaye de le contacter, et personne ne répond à ses messages. Enfin, si, il parvient à discuter avec ses parents — lesquels sont horrifiés par le pétrin dans lequel leur fils se trouve — mais à part ça, c'est un silence radio total. Certes, Gabriel n'a pas vraiment d'amis en dehors de son travail, mais dans la sphère politique, il pensait pouvoir en considérer certains comme des amis... pourtant, ces « amis » ont été absents. Il est vrai que Gabriel aurait pu sortir de Matignon et rendre visite à des gens... rendre visite à Camille, en fait, parce que c'est surtout par rapport à la jeune femme qu'il ne comprend pas ce silence, mais il avait trop peur d'être pris à partie. Les groupuscules d'extrême droite paraissaient trop déterminés à l'assassiner, et même si Gabriel se sent pris jusqu'au cou par tout ce merdier, il ne veut pas mourir pour autant.

Jordan, lui non plus, n'a pas eu de nouvelles depuis dimanche, depuis le début de sa garde à vue intimidante. Son cas est différent puisqu'il a dormi au QG du Rassemblement National et y a passé la journée du samedi. Si le vendredi soir, il n'a rien remarqué de particulier, il a bien senti un certain malaise le samedi : beaucoup de membres, habituellement présents tous les week-end, n'ont pas pointé le bout de leur nez. Ceux qui ont daigné venir gardaient des distances curieuses avec Bardella. Là où Gabriel pense qu'il a fait quelque chose de mal, ou qu'il a déçu les gens... en bref, là où Gabriel tend à se tenir responsable et à se sentir entièrement coupable du silence de ses proches, Jordan se contente de penser que « ce sont tous des connards finis » et qu'il saura leur rendre l'appareil. Il ne cherche même pas à les joindre, trop blessé dans son ego de ne pas être le centre de l'attention. Malgré sa tendance à être égocentrique, pour le coup, il estime vraiment l'être : c'est sur son crâne que le ciel s'abat, pas sur celui des membres du RN, qui devraient donc le soutenir.

Alors, comment expliquer ce silence inquiétant ? Sont-ils déçus, ou désemparés ? Les deux ont tout faux. Ce ne sont pas des « connards » comme le rumine intérieurement Jordan, et ce n'est pas non plus la faute de Gabriel, comme il aime le penser. Durant la réunion hautement privée du président de la République, une liste de gens à écarter des deux hommes a été dressé. La liste, ils l'ont intitulée « les ennemis de la République », et si personne ne l'a eu en main propre pour la diffuser, cela s'est quand même ébruité vers certaines oreilles qui cherchaient des réponses... dont celles de Camille. Quelques minutes après l'annonce du président, que Camille a visionné à la télévision chez une de ses amies faute d'invitation à la conférence, elle voulu joindre Gabriel : manque de pot, son portable n'avait plus de réseau. Alors, elle a voulu l'appeler avec son téléphone professionnel, et là, la ligne était coupé, et le téléphone rechignait à se connecter au moindre réseau wifi. Elle est rentrée chez elle agacée par ses problèmes de portable, mais la jeune femme a pensé que les réseaux étaient probablement saturés.

Ils n'étaient pas saturés. Machinalement, lorsqu'elle est entrée dans son hall d'immeuble, elle a ouvert sa boîte au lettre et a découvert une missive tapée à l'ordinateur. Une phrase minable était écrite « Merci de ne pas contacter M. Gabriel Attal et M. Jordan Bardella par quelconque moyen jusqu'au lundi 7 juillet, sous peine d'être placé en détention provisoire. », et Camille a écarquillé les yeux en la lisant ; elle a trop vite compris. Ça aussi, c'était prévu, comme ce stupide coup de couple ministériel. Avec le téléphone d'un voisin, elle a pu joindre tous les assistants et personnels de ministres et hauts dignitaires du parti... jusqu'à ce qu'on lui dise quelques mots sur cette liste.

Plusieurs centaines de personnalités étaient fichées comme capable de porter atteinte à l'intégrité physique d'un des deux hommes. Dont elle. On la croyait capable d'assassiner Gabriel pour éviter ce fiasco. Camille est restée bouche bée tout le week-end. Ce n'était pas Gabriel qu'elle avait envie d'assassiner, ni Bardella d'ailleurs, mais l'instigateur de ce bordel monstre.

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