Chapitre 7

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« Les amants maudits le retour. Le chef du Rassemblement National s'invite chez le Premier Ministre à l'heure où la France dort paisiblement. »

La une ne fait qu'ouvrir le bal à celles qui suivent :

« Jordan Bardella découche ! Tout savoir sur cette entrevue nocturne »

« Accord politiques cachés ou rendez vous galants inavoués ? Matignon et ses secrets »

... et tant d'autres, qui atterrissent toutes sur le bureau de Gabriel au fil de la journée. Le président lui-même l'appelle pour lui faire remarquer que ce n'était pas exactement ce qu'il avait demandé, mais il était forcé d'avouer que ça avait très bien marché. Tout le monde parlait d'eux, non plus comme des porte-étendards de parti, mais comme les bêtes de foire du moment. Ils détournaient la France entière des élections imminentes. Le premier ministre se sentait comme un personnage principal des Feux de l'Amour. Le scénario, d'ailleurs, en était digne : qui l'eut cru qu'une telle histoire puisse à ce point faire contrepoids sur les législatives les plus cruciales depuis le passage à l'an 2000 ?

La presse se doit de rester politiquement correcte, mais ce n'est pas le cas des internautes. Sur les réseaux sociaux, on peut lire « Je refuse de croire qu'ils n'ont pas baisé dans tous les recoins de Matignon », ou encore « Par pitié je donne une procuration à celui qui m'apporte une preuve de la relation entre Bardella et Attal, c'est une question de vie ou de mort ». Lorsque Jordan est sorti tout débrayé des quartiers du premier ministre, il a été pris en photo, dont une très nette. Gabriel le trouve particulièrement charmant sur le cliché car le chef du Rassemblement National y paraît fragile et désorienté ; sur l'image, pas de rictus moqueur, ni de grand yeux inquisiteurs. Ses joues sont rouges, sa bouche entrouverte, et il fixe un point à l'opposé de l'objectif, comme si son regard était fuyant. Bardella ne portait pas sa veste à ce moment là, et s'il a jugé bon de rentrer sa chemise dans son pantalon, il a toutefois oublié de reboutonner le haut et sa cravate est manquante — abandonnée dans le bureau de Gabriel —. Son visage est marqué par la fatigue, ses sillons naso-pharyngiens sont enfoncés, et ses yeux, gonflés. Les internautes se sont emparés de cette photo, mais se sont mépris sur sa signification. Partout, ils écrivent que Bardella a vécu une nuit de sexe torride, ce qui explique cette mine décalquée et ses vêtements négligés. Les spéculations y vont dans tous les sens, certains imaginent que le premier ministre voulait féliciter Bardella pour sa victoire, d'autres disent que c'était au contraire pour remonter le moral à Jordan. Dans les deux cas, rien de mieux qu'une bonne baise.
Cela fait sourire Gabriel, « s'ils savaient qu'il a dormi dans une position atroce, dans un fauteuil, à plusieurs mètres de moi. Et la seule partie de mon corps qu'il a touché, ce sont mes pieds. » pense le premier ministre sans pouvoir réprimer un sourire.

Sur les coups de 16h, le corps de Gabriel ne tient plus le rythme, et le jeune homme s'autorise une sieste bien méritée — elle s'empare de lui bien plus qu'il ne lui autorise sa venue —, alors il somnole dans le fauteuil. Dans son demi-sommeil, Gabriel divague et se dit que la chaise s'est imprégnée de l'odeur de Jordan : son parfum, dont il doit vider un quart du flacon par jour tant il sent fort, et des effluves de transpiration. Cette odeur commence à lui devenir familière, et elle le berce à tel point que Jordan s'infiltre dans ses rêves. Les rêves, néanmoins, sont désagréables ; c'est tout ce dont Gabriel se rappelle à son réveil, une heure plus tard.

- Fini pour aujourd'hui, Gaby, annonce Camille d'une voix ferme. Tu n'as plus aucune obligation jusqu'à demain, alors s'il te plaît, rentre chez toi et va dormir dans un vrai lit.
- Tu te mets à parler comme Bardella, lui fait remarquer Gabriel.
- Pitié Gabriel ! C'est la pire insulte que tu puisses me faire.

Ils se sont réconciliés, si on peut dire ça comme ça, puisqu'à la base, Camille travaille pour lui. Mais les deux se sont excusés : Gabriel, pour avoir fait quelque chose d'insensé qui aurait pu faire capoter la campagne, et Camille, pour s'être énervée. Le jeune homme prend son conseil au pied et la lettre, et après avoir rapidement serré la brune dans ses bras, il part rejoindre un chauffeur en direction de chez lui. La cravate de Jordan tient en boule dans sa poche ; Gabriel ne s'est résolu ni à la jeter, ni à la laisser à son bureau, ni à la rendre à Bardella.

Valse PolitiqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant