Chapitre 19. «Une princesse ne doit pas se préoccuper de cela. »

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Léonore.

Son torse se soulève et s'abaisse dans un rythme effréné, son regard gris plonge dans le mien alors qu'il hurle son désir profond de voir mon père mort.

— Ce n'est pas ma question...

Un éclair de surprise traverse ses iris lorsque ma main effleure sa joue, glisse sur sa barbe rêche qui irrite ma paume. Mon pouce frotte délicatement une goutte de sang qui marque sa peau. Rogers ferme les yeux, prend une grande inspiration : il s'efforce de retrouver son calme.

— Mon père est-il vraiment l'homme responsable de ces actes innommables ?

Il rouvre les yeux, son regard traduit une souffrance indicible, révélant toute son histoire passée.

J'ai ma réponse.

— Venez vous débarbouiller, vous avez du sang plein votre visage.

Il opine en silence et amorce le pas jusqu'à la salle où se trouve quelques tonneaux d'eau de pluie. Posé sur l'un d'eux, il trempe un linge dans le récipient voisin.

— Je vais m'en charger. Donnez-moi ça, capitaine.

Je m'empare du tissu, l'essore et frotte son visage, perdue dans mes pensées.

Je me retrouve à imaginer son passé, à essayer de déchiffrer tout ce qu'il a traversé, tout ce qu'a engendré cette seule journée, celle ayant transformé le cours de son existence. Les interrogations affluent dans mon esprit, mais Rogers stoppe mon geste en saisissant fermement mon bras, mettant également un terme à mes réflexions muettes.

— Ne me regardez pas avec pitié, princesse.

Son intervention me laisse dubitative : serait-ce l'émotion que je dégage involontairement ?

— Vous faites erreur, capitaine. Ce n'est pas cela.

Une ride apparaît entre ses sourcils froncés. Oserais-je me laisser aller et donner mon opinion au risque de le froisser ?

— Si ce n'est pas de la pitié, qu'est-ce ?

— Un mélange d'incompréhension et d'indignation.

Je plonge le tissu dans l'eau froide et reprends le nettoyage de son visage.

— Éclairez-moi.

— Votre vie de pirate a été bâtie autour de la perte de vos parents. Depuis lors, la vengeance hante chacun de vos pas. Vous n'hésitez pas à sacrifier des innocents pour assouvir cette quête. Comment pouvez-vous vous considérer meilleur que le roi ? Certes, vous n'avez pas commis de viol, mais...

Mes mots restent en suspens dès qu'il frappe violemment le sceau près de moi. D'un geste brusque, il m'écarte et me plaque contre la coque du navire, puis tape du poing à quelques centimètres de ma tête. La peur me submerge, mon cœur s'emballe. Ses yeux, gris, reflètent une haine brûlante. Rogers semble avoir atteint le paroxysme de sa colère et ma franchise n'a, de toute évidence, pas apaisé les choses.

— La vérité blesse, capitaine...

Je pensais être capable de garder ça dans ma tête pour éviter de mettre de l'huile sur le feu, mais c'est plus fort que moi.

— Vous avez pris la vie de Julian, celle de mon garde du corps et des centaines d'innocents pour votre vengeance personnelle. La vie de vos parents valait-elle plus que la leur ? Vous pillez, mettez à feu et à sang des navires, fabriquez votre image de pirate sanguinaire juste pour un jour retrouver mon père et le tuer ?

— Vous êtes d'une naïveté déconcertante, princesse.

Il marque une pause. Il est si près de moi, et son corps, chaud, écrase le mien. Il tremble de rage, fait gronder sa voix.

BloodThorn : La vengeance de Rogers [Terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant