Chapitre 39. « Je crois qu'ils portent l'uniforme de Sainte-Luce, capitaine. »

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Rogers.

Le soleil nous fait grâce de quelques éclaircis. Après une rapide baignade dans la mer fraîche, je remonte à bord du BloodThorn et contemple le travail accompli avec l'équipage. Malgré les progrès, il reste encore beaucoup à faire pour remettre le navire en état.

— Oy Ho, capitaine! m'interpelle Anne.

Elle monte à bord les bras remplis de victuailles.

— Sans moi, tu mourrais de faim, me dit-elle en lançant une pomme dans ma direction.

Elle a raison. Je ne rentre plus à la maison. Mes journées et mes nuits s'écoulent ici, dans ma cabine. Enfin, si l'on peut appeler ça dormir car la tristesse d'avoir dû laisser Léonore sur place s'insinue dans mon âme tel un vieux couteau rouillé ne me permettant pas de trouver le repos. D'ailleurs, j'ai fait rapatrier ses affaires ici et il m'arrive souvent de plonger mes mains dans son coffre pour caresser le tissu soyeux de ses robes. Je me suis même plongé dans les pages de ses livres dans l'espoir de la sentir près de moi, mais ça ne fait que souligner le vide. Chaque semaine, je lave mes draps avec ce foutu savon, celui avec lequel elle prenait ses bains, afin de garder son odeur sur mon oreiller. Je suis désespérant. Mais deux mois sans elle est une torture.

Après un rapide petit déjeuner, je suis déjà reparti dans ma tâche. J'huile l'ensemble du bois du navire pour le nourrir et l'entretenir, lorsque Crocus et Rory débarquent en riant. Leur joie m'épuise, mais je n'ai pas le droit de leur en vouloir d'être heureux. Je ne peux pas espérer que tous soient dans la même déprime que moi, dans la même souffrance. Mais j'ai de plus en plus de mal à supporter les éclats de rire. C'est pourquoi je m'éloigne du village depuis que je suis revenue sur mes terres. Je ne côtoie plus que Anne, Jackson et de temps en temps quelques membres d'équipage qui passent me rendre visite, m'aidant à remettre le BloodThorn sur pied.

Les deux marins se chamaillent comme des enfants, se poussent, trébuche et recommencent inlassablement leur enfantillage. Autrefois, cela ne me dérangeait pas, je trouvais même cela vivant et agréable. Ils partageaient la joie avec tout l'équipage, mais aujourd'hui, je n'arrive plus à voir le bon côté de leur comportement. C'est agaçant, pour ne pas dire exaspérant.

L'irritation monte d'un cran lorsque Rory met la main sur le bois que j'ai soigneusement huilé. Une colère fulgurante s'empare de moi et je laisse éclater ma frustration, les expulsant tous deux vers le village, loin de ma vue.

— On dirait qu'ils ont quinze ans, déclare Rachel en me rejoignant sur le navire.

La rouquine avance d'une démarche chaloupée, un regard aguicheur. Je connais bien ses intentions. Elle cherche à ce que je la possède à nouveau, c'est tout ce qu'elle attend.

Rachel pose sa main sur mon torse, indifférente à mon regard noir. Puis ses lèvres embrassent ma chemise.

— Arrête ça, Rachel, ordonné-je froidement.

Elle persiste à embrasser le tissu, imprégné d'huile et de poussière. Exaspéré, je la saisis par les épaules et la repousse en arrière.

— J'ai dit stop ! Es-tu sourde ?

Rachel recule, contrariée, mais l'insistance dans son regard persiste.

— Elle ne reviendra pas, Rogers, alors que moi je suis là et je ne vois que toi.

Je relève la tête en direction du ciel, comme si les nuages pouvaient me donner la force de passer à autre chose.

— Ferme les yeux. Fais-moi confiance, chuchote-t-elle.

BloodThorn : La vengeance de Rogers [Terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant