Chapitre 15 : Emily

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Je l'observe charger son Dodge, chaque geste qu'il réalise semble marquer la fin de quelque chose. La fin de cette semaine. La fin de tout. Ce matin, nous avons encore repris les leçons de ski, et comme prévu, j'ai échoué. Drew a ri en me disant que sa mission de professeur avait été un échec total. Et pourtant, je ne peux m'empêcher de ressentir cette petite pointe dans mon cœur.

Il s'en va.

Les souvenirs de la veille, dans la salle de tirage, me reviennent en tête. Nos rires en voyant les images prendre vie, la façon dont nous nous remémorions chaque instant comme s'il venait à peine de se passer. J'ai adoré ça. J'ai aimé chaque minute de cette semaine. Les moments maladroits, les repas, les conversations à demi-mot. Et surtout, ses paroles... Celles qui ont tourné en boucle dans ma tête toute la nuit.

Mon cœur se serre encore plus alors que je le regarde. Je n'ai pas envie qu'il parte. Je n'ai pas envie qu'il me laisse ici, seul avec ces souvenirs et ces non-dits. J'ai adoré cette semaine. Et pourtant, je ne fais rien. Je devrais. Pourquoi est-ce que je reste plantée là ?

⸺ Bon, bah on se retrouvera l'année prochaine, à Seattle, dit-il en s'avançant vers moi, un sourire léger sur les lèvres.

Seattle... l'année prochaine... Ces mots résonnent dans ma tête, me paraissant si loin si impossible à attendre.

Je hoche la tête, essayant de sourire en retour, mais mon cœur se serre encore plus.

⸺ Oui... l'année prochaine.

Pourquoi est-ce que je me contente de ça ? Je devrais dire quelque chose, faire quelque chose. Mais au lieu de ça, je reste immobile, me contentant d'acquiescer à cette promesse si lointaine.

Mes bras agissent presque d'eux-mêmes, s'enroulant autour de sa nuque, comme si je ne pouvais plus retenir tout ce que je ressens. Mon nez se niche au creux de son cou, et je m'imprègne de son parfum, essayant de graver ce moment dans ma mémoire. Ce moment où, pour la première fois, il n'y avait que lui et moi.

Le monde semble s'arrêter autour de nous. J'entends à peine le bruit de la neige sous nos pieds, le vent glacial qui souffle au loin. Il n'y a plus que cette chaleur, ce contact, ce moment volé avant qu'il ne parte.

Je sens son corps se tendre légèrement, surpris, mais il ne recule pas. Au contraire, ses bras se referment doucement autour de moi, me tenant contre lui. Je veux me souvenir de ça.

⸺ Merci d'avoir mis de côté le ski pour passer du temps avec moi, Drew, murmuré-je, toujours blottie contre lui.

Je le sens sourire contre mes cheveux, ses bras se resserrant légèrement autour de moi.

⸺ C'était un deal, non ? répond-il doucement, sa voix un peu plus grave. Et puis... j'ai aimé chaque moment passé ici.

Mon cœur se serre à nouveau, mais cette fois, c'est une douce douleur. C'est vrai, c'était un deal. Mais ça a fini par devenir tellement plus. Je reste là, savourant cette dernière étreinte, me demandant si je serai capable de le laisser partir sans dire ce que je ressens vraiment.

Nous finissons par nous éloigner, un silence s'installe entre nous, lourd de tout ce qui n'a pas été dit. Mes yeux s'enfoncent dans les siens, cherchant quelque chose que je ne peux pas formuler. Puis, lentement, je le regarde s'approcher de la portière, comme si tout était sur le point de s'arrêter ici. Il me regarde une dernière fois, monte à l'intérieur et démarre le moteur.

Le bruit des pneus roulant sur la neige me ramène à la réalité, et une panique sourde envahit tout mon corps. Je ne peux pas le laisser partir comme ça.

⸺ Drew ! crié-je, mon cœur battant à tout rompre.

Il freine brusquement, je cours jusqu'à sa fenêtre ouverte, mes cheveux volant sous mon bonnet. Lorsque j'arrive enfin face à lui, je sens mes mains trembler. Ne le laisse pas partir, dis quelque chose. Je joue nerveusement avec mes gants, cherchant mes mots.

⸺ Si... si tu veux... tu peux rester. Tu as ta chambre dans le chalet, balbutié-je, la voix tremblante.

Il me sourit doucement, ses yeux brillants d'une émotion que je ne parviens pas à déchiffrer. Puis, il me remercie pour l'invitation, tandis que sa main passe la barrière qui nous sépare pour se refermer sur mon menton qu'il remonte avec douceur. Son geste est doux, presque tendre.

⸺ Je crois qu'il est préférable que je rentre, Ember.

Je reste figée, le souffle coupé, alors que ses mots résonnent encore dans ma tête. Ember. Ce surnom, si inattendu, me fait vaciller. Je ne l'ai jamais entendu me nommer ainsi. Il est doux, réconfortant, mais en même temps, il semble si chargé de sens.

Je le regarde, abasourdie, incapable de formuler une réponse. Pourquoi m'a-t-il appelée comme ça ? Mon cœur s'emballe encore plus sous le poids de ce surnom, comme s'il avait révélé quelque chose que je ne savais pas.

Drew ne semble pas s'en rendre compte, ou peut-être qu'il le fait exprès, je ne sais pas. Mais ce simple mot, « ember », réchauffe quelque chose en moi, alors qu'il s'apprête à partir.

Mes doigts s'agitent, cherchant nerveusement dans mes poches ce que j'avais gardé pour ce moment. Je dois lui laisser quelque chose, un souvenir...

⸺ Tiens, dis-je, ma voix tremblante. Je... je... j'aimerais que tu la prennes avec toi pour... pour ne pas oublier notre semaine.

Je me hisse sur la pointe des pieds, mes mains tremblantes, et pose la photo sur son tableau de bord, face cachée, pour qu'il puisse la regarder une fois parti. Je ne veux pas qu'il m'oublie... enfin cette semaine. Lui et moi.

Il suit mon geste en silence, et avant que je ne puisse m'éloigner, son pouce effleure doucement ma lèvre, un geste si tendre que cela me brise. Mon cœur se fissure sous la simplicité de ce contact, laissant derrière lui un vide que je ne sais pas comment combler.

Je veux dire quelque chose, mais les mots restent bloqués. Puis, sans ajouter un mot, il rompt le lien, et s'en va, me laissant là, seul dans ce froid.

Je sens mes joues devenir humides, mais je ne peux pas bouger. Mes pieds sont ancrés dans la neige, tandis que mes yeux restent fixés sur son pick-up, chaque seconde mettant plus de distance entre nous. Il part, et je suis là, incapable de faire quoi que ce soit.

Les larmes continuent de couler silencieusement sur mes joues, mais je ne les essuie pas. Je suis figée, comme si tout ce que je ressentais s'était soudain cristallisé en ce moment. Pourquoi n'ai-je pas fait plus ? Pourquoi est-ce que je n'ai pas dit ce que je ressentais vraiment ?

Le ciel devient soudainement blanc, lourd de neige prête à tomber, et en quelques instants, des flocons commencent à tourbillonner autour de moi. Je regarde les petits cristaux tomber, se déposant doucement sur mes cheveux et mes vêtements. Le paysage se fond dans ce voile blanc, tout comme mes pensées.

La neige masque lentement la route devant moi, le pick-up, devenant de plus en plus flou à mesure que les flocons s'intensifient. Tout semble irréel. La douleur dans ma poitrine, les mots que je n'ai pas dits, le poids de tout ce que je ressens... tout semble se perdre dans ce brouillard de neige.

Emily Grimshade, tome 3Où les histoires vivent. Découvrez maintenant