Chapitre 3 : Ashley

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S'il y avait bien une chose que j'avais oubliée en arrivant, c'était de remplir le frigidaire. Je me sentais vraiment bête en ce moment même. Pourquoi n'y avais-je pas pensé plus tôt ? Tant pis, il devait bien y avoir un endroit sympathique en ville pour se remplir la panse.

Prenant quelques sous dans mon sac, je dus me résigner à marcher jusqu'à trouver un endroit convenable. Je n'avais pas encore suffisamment les moyens pour m'acheter une voiture. En fait, c'était le prix à payer quand on prenait un nouveau départ en abandonnant les pots cassés derrière soi.

Sur mon chemin, une voiture m'interpella. Je m'arrêtai et regardai le conducteur qui était en train de baisser la vitre. Un homme avec pratiquement la même coupe de cheveux que Marilyn mais au teint un peu plus mat, ainsi qu'une mine amicale à qui l'on pouvait faire confiance. Du moins, avec la plupart des gens, je ne pouvais pas m'empêcher d'avoir des doutes et de marcher sur des œufs dès que je commençais à parler avec quelqu'un.

Il ne tarda pas à se présenter, un grand sourire aux lèvres. Lui, au contraire, semblait accorder sa confiance bien trop rapidement et déclina son identité dans une suite de mots à la limite de l'incompréhensible.

— Salut ! Marilyn m'a parlé de toi. J'habite avec lui au passage. Je suis Jeordie.

Lui au moins avait un nom de garçon. J'en étais presque déçue. Je commençais à trouver ça assez amusant.

— Enchanté, je suis Ashley, rétorquai-je en tentant de me montrer amicale.

— Je n'arrivais pas à croire Marilyn quand il m'a dit que notre nouvelle voisine est vraiment mignonne et sympa.

Même si je savais qu'il me draguait ouvertement, je ne pus m'empêcher de rougir. Ou plutôt parce que Marilyn m'avait trouvée "mignonne" ? Je ne savais vraiment plus quoi en penser. Les marques d'affection venant de la part d'autrui m'étonnaient toujours bien plus que leur méchanceté.

— Et sinon tu fais quoi dehors si tard ? demanda-t-il d'un ton enjôleur.

— Eh bien, comme une andouille j'ai oublié d'acheter à manger alors je dois me démerder pour trouver un petit resto.

— Tu sais quoi ? Avec le groupe on doit jouer dans un bar. Peut-être que tu pourrais venir et il y aura sûrement de quoi manger, m'expliqua-t-il accompagné d'un clin d'œil.

Il était de moins en moins discret, mais me rendre à un concert m'enthousiasmait déjà. J'allais le voir en compagnie de Marilyn sur scène. D'ailleurs, je ne lui avais même pas demandé de quel instrument il jouait. Qu'est-ce que je pouvais être une idiote des fois !

— Tu veux que je t'y amène ? ajouta-t-il d'un ton aguicheur.

Si j'acquiesçais, il penserait que j'accepte que ça aille plus loin entre nous. Pour l'instant, sortir avec quiconque n'était pas dans mes objectifs. Mais faire ami ami, en revanche, ça l'était totalement !

— Je pense que je n'ai pas d'autre choix, répondis-je comme si je n'étais pas totalement intéressée.

Je contournai la voiture, m'installai sur le siège passager et bouclai ma ceinture. Nous pûmes enfin démarrer pour nous rendre vers ce bar. Durant tout le trajet, il tenta de lancer de nombreuses discussions tout en glissant quelques sous-entendus pour me montrer à quel point je l'intéressais. Je riais à ses blagues mais je savais que ça n'irait pas plus loin entre nous. Je n'étais pas prête pour une nouvelle relation.

— Mais Marilyn ne t'a pas dit qu'on vivait ensemble ?

— On s'est rapidement parlés. On n'est pas entrés dans les détails.

J'étais tout de même assez étonnée qu'il ne m'ait rien dit. Il me proposait de venir à un de ses concerts sans pour autant me préciser qu'il en avait un dans cette même journée. Et s'il m'avait menti ? Et s'il ne voulait pas me revoir ? Et s'il était un parmi tant d'autres ?

— Et tu joues de quoi dans le groupe ? l'interrogeai-je assez curieuse.

— De la basse. Contrairement à ce qu'on croit, ce n'est pas un instrument inutile ! Bien au contraire ! Un morceau sans basse serait tellement fade.

Il me prenait pour une débutante. Pourtant, du haut de mes vingt-et-un ans, j'en connaissais pas mal à propos de musique, et je savais pertinemment bien qu'une basse était un instrument essentiel dans un groupe.

— Tu joues d'un instrument ? enchaîna-t-il.

— De la guitare, depuis mes dix-sept ans. Et parfois je chante. Enfin j'essaie. Je ne suis qu'une amatrice.

— Tous les plus grands ont un jour été des amateurs.

Nous échangeâmes un bref rire. Il savait me mettre en confiance et pourtant, je l'accordais à si peu de personnes. J'avais envie de ne plus me soucier de rien, de penser que lui ou Marilyn étaient vraiment des gens bien. Une première. Malgré mon passé et mes doutes, je me sentais presque revivre, je n'étais pas Ashley la folle, j'étais Ashley la fille intéressante. Mon look ne les effrayait même pas. Inconsciemment, mon sourire s'accentua à cette remarque.

En quelques minutes nous arrivâmes audit bar. Pendant que Jeordie se garait délicatement devant celui-ci, je pus apercevoir le nom de l'enseigne qui illuminait la rue d'un rouge vif où l'on pouvait lire Strawberry. Amusant. Les vitres teintées ne me permettaient pas de distinguer l'intérieur dans les moindres détails. Pourtant, je savais déjà qu'il s'agissait d'un bar sombre. Un bar sombre comme je les aimais.

Ça s'annonçait bien.



Villains With The Scabbed WingsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant