Chapitre 9

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La nuit était installée depuis quelques temps sur les montagnes, et la lune blafarde éclairait doucement le paysage. Un loup hurla.

Derrière les remparts de bois, au dessus de la cabane des lépreux, Dame Eboshi chargea une arquebuse nouvellement fabriqué. Elle visa un point sur le versant sombre dénudé d'arbres en face d'elle, et tira. Le projectile tomba dans un creux, produisant une explosion. On distingua des animaux s'éparpillant autour. C'était des Orangs-outans, leurs yeux rougeâtres luisants dans l'obscurité.

- Ils reviennent chaque nuit, expliqua en soupirant la jeune femme au prince, qui, debout à côté d'elle, regardait droit devant lui. Inlassablement. Ils replantent des arbres. Pour que de nouveau la forêt recouvre la montagne.

Elle se tourna vers lui.

« - Ashitaka, reste, lui proposa t-elle, et aide moi à détruire l'esprit de la forêt... *

- ... Vous commettriez un tel crime ? murmura-t-il. Vous tueriez le cœur même de la forêt ?...

- Une fois les anciens dieux disparus, les monstres redeviendront ce qu'ils étaient, de simples animaux ! affirma Eboshi en une nouvelle tentative. Quand nous aurons rasé les forêts, et chassés les meutes de loups, la montagne sera un havre de paix et d'abondance... Les loups se calmeront. Et la princesse Mononoke reprendra forme humaine. »

A ces mots, Ashitaka la regarda brusquement, les sourcils froncés.

« - La princesse Mononoke... ? répéta-t-il.

- La princesse des esprits de la nature, des bêtes et des anciens dieux. Une sauvageonne. Élevée par des loups, et qui a juré ma mort. »

Le jeune homme revit alors l'image de la jeune fille qu'il avait entrevue dans la forêt. C'était donc elle ! Il esquissa un demi-sourire, comme s'étant donné une mission et se tourna vers le versant en face d'eux. Eboshi rechargea l'arquebuse sans rien dire.

- La légende dit que le sang de l'esprit de la forêt guérit tous les maux, reprit-elle. S'il pouvait guérir mes pauvre lépreux, et par la même occasion s'il pouvait te délivrer de ton maléfice...

Une voix sortit tout à coup d'une trappe dans le plancher en bois. C'était un lépreux.

« - Dame Eboshi ! Comment la trouvez-vous maintenant ?

- Elle est parfaite. Beau travail ! C'est l'arme idéale pour conquérir le monde. Mais je la trouve encore trop lourde pour les filles. »

Pendant ce temps, Ashitaka, éprouvant le besoin de marcher un peu, les quitta. Plongé dans ses réflexions, il passa devant le bâtiment où travaillaient Toki et ses compagnes, et, entendant des voix, il s'arrêta soudain. C'était les jeunes femmes, qui chantaient en travaillant, pour rompre la monotonie de leur labeur. Changeant de direction, il entra et se dirigea vers le coin ou elles étaient installées. Ce fut Toki qui le vit arriver.

« - Hé ! Tu as tenu ta promesse ? fit-elle, surprise tandis qu'une jeune femme à côté d'elle, rajustait précipitamment son kimono sur sa poitrine en rougissant.

- Oui ! répondit t-il en souriant. J'avais envie de mettre la main à la pâte, moi aussi. »

Et sous les yeux ébahis de la jeune fille, il enleva le haut de sa tunique bleue, se mit torse nu

- Tu veux travailler !... s'écria t-elle en le regardant avec de grands yeux.

Il s'avança vers les femmes aux soufflets.

- Excusez-moi, demanda t-il poliment à une en lui prenant la corde, vous permettez ?

Elle rougit immédiatement et le regarda d'un air stupide.

- Oh ?!

 - Ben laisse lui ta place fit Toki qui s'était avancée avec un sourire amusé. Puisqu'il te le demande !

Et sous les yeux rieurs de celle-ci, Ashitaka prit la corde à deux mains au dessus de sa tête, et appuya une première fois sur le balancier qui baissa à l'extrême. Les jeunes filles crièrent de joie en sautant sur le bois et en se suspendant aux cordes. Le jeune guerrier continua son manège.

- Ce qu'il est fort !

Toutes les filles qui se reposaient sur le côté vinrent se rassembler derrière Toki, accoudée près d'Ashitaka.

« - Il est venu je n'arrive pas à le croire !

- Aucun homme ne te résiste à toi, lança la jeune femme, moqueuse.

- Oui, rajuste ton kimono, qu'est ce que c'est que cette tenue !

- Pas mal, fit Toki au milieu du tumulte en observant le prince, mais voyons combien de temps tu tiendras la cadence !

- C'est un dur labeur que vous faites, dit-il, essoufflé.

- Ah, travailler pendant quatre jours d'affilé ce n'est pas pour les gringalets, confirma la jeune fille, très à l'aise.

- La vie ne doit pas être facile pour vous ici ! continua-t-il.

- Oh on a connu pire, crois-moi ! Les maisons de passes, c'était pas le paradis, hein les filles !

- Ici au moins, les hommes nous fichent la paix, renchérit une autre. Et on peut manger autant qu'on veut ! »

Elles éclatèrent de rire.

- Je vois !

***

Pendant qu'Ashitaka tenait compagnie aux jeunes femmes, dehors dans la montagne, les orangs-outans se rassemblèrent sur les arbres morts. Deux loups émergèrent de derrière un bloc de rocher. Leurs yeux jaunes luisaient dans l'obscurité. Sur le dos du premier, était juché la jeune princesse Mononoke.

Le trio silencieux arriva à un promontoire qui dominait le lac. En dessous d'eux, se trouvaient les forges, un assemblage de maisons en bois construites dans un cercle fortifié, qui entouraient un grand bâtiment d'où s'échappait des fumées ocres. Le deuxième loup gronda sourdement. La jeune fille étendit sa main sur la tête de l 'animal et lui gratta le museau en souriant pour l'apaiser.

Puis, son regard repris sa dureté en regardant le village. Sans rien dire, elle rabattît son masque rouge sur son visage, et rejeta sa crinière blanche en arrière.

Aux forges, les jeunes filles s'étaient rassemblées autour du prince, devant l'entrée du bâtiment.

« - Hein ?

- Quoi ? Tu pars demain matin ?

- Reste encore un peu, tu n'es pas bien chez nous ?

- Il y a du travail pour toi !

- J'aimerais bien rester répliqua t-il doucement, mais je ne peux pas un autre travail m'attends, je dois retrouver quelqu'un. »

Tout à coup, le jeune guerrier tressaillit. Une image venait de lui apparaître brusquement, quelques instants. Celle d'une inquiétante jeune fille, portant un masque et une crinière blanche, chevauchant un énorme loup qui galopait à une vitesse folle. Elle arrivait. Il changea tout de suite d'attitude, et tourna la tête vers les montagnes, les sourcils froncés. Inquiète et pressentant quelque chose, les jeunes femmes murmurèrent.

« - Qu'est ce qu'il y a ? ...

- Qu'est ce que c'est ? ... »

Ashitaka sa plaça de profil, ses yeux allumés d'une lueur féroce fixés dans le lointain, grave.

« - C'est elle, murmura t-il.

- Elle ? »

Sans donner plus d'explications, il se mit à courir.




*Le dieu cerf peut revêtir 2 formes. De jour il a l'apparence d'un cerf au visage étrangement humain et aux bois enchevêtrés comme les branches d'un arbre. La nuit il se transforme en géant translucide. Sous cette forme, les humains le surnomment : "le faiseur de montagne". Une croyance non-fondée veut qu'il retire la vie à tous ceux qui l'aperçoive.


Princesse Mononoke - Le livreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant