Princesse Mononoke - Le livre

Chapitre 25

Celui qui venait de dire ces mots était l'homme assis à leurs pieds qui depuis le début n'avait prononcé aucune parole. Plongé dans une sorte d'inertie totale, il avait levé la tête au moment ou ses compagnons avait manifesté leur colère, et depuis, semblait s'être claquemuré dans ses pensées. Il fixait à présent le sol, le regard vide, et tremblait violemment comme en proie à un délire.

Muets d'étonnement, Ashitaka et le second villageois tournèrent aussitôt les yeux vers le bas. Le jeune homme se baissa immédiatement à la hauteur de l'homme pour s'accroupir près de lui.

- Je l'ai vu, continua le pauvre forgeron à toute vitesse. J'étais en première ligne. J'ai tout vu, absolument tout.

Il claquait maintenant des dents, blanc comme un linge. Les traits émaciés de son visage reflétaient une souffrance intense. Le prince sentit une vague déferlante de peine l'envahir et lui nouer la gorge.

- Raconte moi... le pria-t-il doucement mais fermement.

Mais c'en fut trop pour le malheureux homme qui éclata en sanglots, brisé par la douleur et le chagrin.

- Je ne sais plus ! s'écria-t-il en hoquetant. Tout s'est passé si vite je n'ai rien compris du tout, quel cauchemar !!...

Étranglé par les pleurs, il ne put continuer et sa tête retomba entre ses mains, le corps agité de soubresauts convulsifs. Ashitaka lui posa la main sur les épaules pour le soutenir, une onde de tristesse dans les yeux.

- Nous avons été placé en première ligne, pour appâter les sangliers, lança le second villageois tandis que le jeune homme levait la tête vers lui. Et bien sûr personne ne nous avait dit que le terrain était truffé de mines !

Le visage du prince devint sombre tandis que le forgeron lui narrait les détails de la bataille.

Aveuglés par leur fureur et leur soif de justice, les sangliers avaient chargés en une énorme masse vers le plateau rocheux, ou une bien terrible surprise les attendaient. Une invincible barrière de mines entourait le promontoire. Les malheureuses bêtes s'étaient jetées dedans à corps perdu, persuadées d'en venir à bout. Elles avaient été projetées en l'air dans un immense vacarme, avec une violence inouïe.

De gigantesques gerbes de feu rouge-orangées avaient précipité les dieux de la forêt vers le ciel sans qu'ils ne ralentissent une seconde leur galop effréné. Malgré la quantité effroyable de ceux qui périssaient dans cette ignoble boucherie, les survivants continuaient à progresser, préférant sans doute une mort digne à la fuite qui permettrait pourtant de les sauver !... Ainsi, ils se précipitèrent aux abords des falaises du plateau, pulvérisant les guetteurs et les sentinelles humaines et les emportant dans le précipice avec eux. Il restait encore des centaines de sangliers quand ceux-ci se lancèrent à l'assaut des parois rocheuses à une vitesse incroyable sans se douter que, là-haut, les hommes de l'organisation de Jiko allaient leur jeter des grenades et des bombes, sans pitié !

Au sommet du promontoire, les guerriers rouges lancèrent ces grenades improvisées vers les bêtes. A peine les projectiles eurent atteints leurs cibles qu'une énorme explosion retentissait, plus grande encore que la précédente. Le ciel se teinta soudain de rouge et l'air s'emplit de cris de souffrance et de beuglements et grognements horrifiés. Des dizaines de sangliers, en feu, avaient chuté du haut des falaises. Ils étaient lourdement tombés au pied du plateau sur le camp de fortune des hommes, tandis que du haut de la bataille, sans que la moindre émotion ne se discerne dans ses traits, Dame Eboshi contemplait le carnage.

Ashitaka ne disait rien. Les yeux sombres, il songeait à toute l'horreur du combat, à tous ces malheureux forgerons dont le Shishou Ren s'était servi, et qui étaient morts. Et San dans tout cela ? Avec ce qui s'était passé, il n'y avait que très peu de chance qu'elle ai survécu, surtout en étant au milieu des sangliers. Était-elle en vie ? Autant de questions angoissantes, restaient sans réponse.