Dame Eboshi, le jeune homme sur ses talons traversa les forges, marchant au milieu des bâtiments où hommes et femmes s'activaient. Le vacarme habituel des marteaux, des pilons, ou encore des pelles de fourneaux se faisait perpétuellement entendre.
Le prince s'arrêta tout à coup devant le plus gros édifice, le cœur de la forteresse. Au centre de l'immense pièce, s'élevait une sorte d'énorme cheminée en terre cuite. Un feu orangé y brûlait, illuminant le bâtiment d'une lueur rougeoyante. Montés sur des échafaudages, des poignées d'hommes l'alimentait, portant des charges de bois sur leur tête, puis les jetant dans le brasier. Sur la gauche, on apercevait les femmes des forges qui activaient les soufflets, permettant ainsi la durabilité du feu. Quelques unes se reposaient sur le côté.
Ashitaka les observa un moment et se remis en marche. Quelques temps après, Dame Eboshi s'avançait dans un jardin soigneusement entretenu, gardé par un homme couvert de bandages dont on ne voyait que les yeux. Un lépreux.
Entièrement fortifié, le jardin était situé à l'extrémité des forges. Le tumulte quotidien ne l'atteignait pas, l'ambiance y était calme, mystérieuse. Les grillons avaient déjà commencé à égayer la nuit de leur chant.
- Voici mon jardin, annonça la jeune femme au prince, qui était resté à l'entrée. Aucun villageois n'a le droit d'y entrer. Suis-moi si tu veux connaître mon secret.
C'était plus un ordre qu'une simple invitation. Ashitaka traversa l'étendue semée de plantes derrière elle jusqu'à une maison de bois dont la porte était gardée par deux autres lépreux.
- Bonsoir, leur murmura t-elle doucement.
Et elle disparut derrière la teinture de bambou qui faisait office de porte. Le jeune homme entra lui aussi. Il s'arrêta net sur le seuil, n'osant aller plus loin et regarda l'intérieur en fronçant les sourcils. La cabane abritait une dizaine de lépreux qui travaillaient, assis sur le sol, les plus affaiblis allongés.
« - Nous venons de finir à l'instant madame, annonça une voix féminine.
- ... Encore trop lourd, remarqua Eboshi en soupesant un fin objet en bois.
- Mais madame, protesta doucement la lépreuse vous n'avez aucun mal à le soulever !
- Si on les faisait plus léger ils exploseraient au premier tir.
- Je ne serais pas la seule femme à les utiliser expliqua leur patronne. Les filles aussi devront pouvoir les manier facilement. »
Elle se tourna vers Ashitaka en lui montrant l'objet.
« - C'est le dernier modèle d'arquebuse que je leur ai demandé de concevoir. Celles que fabriquent les chinois sont trop lourdes et encombrantes. Avec ce modèle aucun monstre ne résistera, aucune armure si épaisse soit-elle.
- Prenez garde ennemi, prévint un lépreux en riant. Dame Eboshi est déterminée à conquérir le monde.
- Pardon de vous presser intervint la jeune femme. Je vous ferais porter du saké* tout à l'heure.
- Oh, ce n'est pas de refus ! »
Le prince sentit la rage monter en lui.
- ... Vous commencez par voler la forêt aux sangliers, puis vous les transformez en monstres, s'emporta t-il, et maintenant vous fabriquez des armes mortelles, vous n'en avez pas assez de semer partout la terreur et la haine !
- Oui, c'est moi qui ai tiré cette balle, confessa Eboshi. Je suis navrée de toutes les souffrances que tu as endurées. ...
Cet imbécile de cochon... Ce n'est pas toi qu'il aurait du maudire, c'est moi lança t-elle soudain, sarcastique.
C'en fut trop pour Ashitaka qui perdit alors tout son sang froid. La fureur le gagna et les vers noirs s'agitèrent sous l'habit qui lui recouvrait le bras. Voyant cela, il eut un instant de surprise, et essaya de porter sa main à son sabre. Il réussit à l'attraper et, les dents serrées, il fit des efforts décuplés par la rage pour le sortir de son fourreau. Mais son bras semblait refuser de lui obéir. Les lépreux prirent peur. La partie était évidemment inégale. Impuissant, le jeune homme regarda Eboshi comme pour lui montrer son œuvre, ce qu'il était devenu à cause d'elle.
- Que t'arrive t-il, mon garçon, ironisa celle-ci. Ton bras droit voudrait t-il me tuer ?
Il la fusilla du regard.
« - Le gauche le ferait aussi si cela pouvait rompre le maléfice. Mais je crains que cela ne suffise pas à mettre fin à toute ces tueries !
- Non, il faudrait nous abattre tous pour que la paix règne ici, déclara t-elle avec un sourire exaspérant. »
Un lépreux estropié l'interrompit.
- Madame ! Il me semble qu'Ossa voudrait prendre la parole.
Une voix sortit alors d'une couverture.
- Pardonnez moi, D... ame Eboshi articula l'homme avec difficulté. Il ne faut pas sous-estimer la force de ce garçon... Jeune homme, étant moi-maudit, comme toi, je connais, la colère, la souffrance, la détresse... Mais tu aurais tort de tuer cette dame. Je te supplie de ne pas le faire... Elle seule nous a traité comme des êtres humains... Nous sommes des lépreux... Le monde nous hait... et nous craint... le monde entier, mais pas Dame Eboshi. Elle nous a recueilli, elle a lavé nos chairs pourries, changés nos pansements... Ah ! Ah !
Le pauvre homme gémit, agité de soubresauts.
- Ossa !
- Pour nous... reprit t-il, la vie n'est que souffrance, un combat, de touts les instants... Le monde est maudit mais... nous trouvons encore quelques raisons de vivre...
Pardonnez-moi, je ne sais plus ce que je dis... souffla t-il pour terminer.
*Saké : produit typiquement japonais, très répandu dans le pays. C'est un alcool, fait à base de riz.
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Princesse Mononoke - Le livre
FantasyL'histoire retranscrite en livre du jeune Ashitaka et de la princesse des esprits dans le Japon ancien...