Chapitre 2 : SOLITUDE

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          Ce n'est qu'au bout de plusieurs minutes que le jeune Joseph reprit conscience. Il sentit une vive douleur au front et une sensation de chaleur dans les cheveux. Il était complètement déboussolé. Puis, après quelques secondes à reprendre peu-à-peu ses esprits, la mémoire lui revint en plein figure: la voiture, la vive lumière, et plus rien. Il ne se rappelait pas du choc en lui-même et fut surprit en réalisant que le véhicule était sur le toit. On entendait de la fumée qui sortait du moteur et des gémissements qui venaient d'une femme. Mais il n'avait pas le temps de penser à cela, il fallait impérativement qu'il sorte. Il réussit à décrocher sa ceinture, puis vint s'écraser sur ce qui était en réalité le toit. Les sièges se trouvaient au-dessus de sa tête, et lui reposait sur le plafond de l'habitacle. "Une fenêtre!". Tout en jetant un coup d'œil autour de lui, il remarqua des traces de sang sur le pare-brise, ruisselant jusqu'au bitume, et se mêlant à la neige qui tombait lentement à l'extérieur. Victor ne bougeait pas, il gisait, complètement tordu. Comme Charlotte, il avait les pied en l'air et la tête, couverte de sang, sur le parterre. "Maman! Papa!" - cria le jeune garçon, mais personne ne répondit...

          Il dû se contorsionner pour pouvoir sortir par une des fenêtres arrières, s'écorchant les genoux et les mains à cause des bouts de verre qui jonchaient le sol. Aussitôt dehors, un vent glacé vint lui fouetter le visage. Il tremblait de froid, et aussi de peur. Le sang coulait à présent sur sa joue, mais l'air gelé l'avait anesthésié de toute sensation. C'est alors qu'il vit l'ampleur des dégâts, et que ce n'était que par miracle qu'il se soit sorti d'un tel accident pratiquement indemne. Leur voiture avait arrêté sa course à une dizaine de mètre de l'autre.

          La lune éclairait la scène d'une faible lueur bleutée. Tout était calme... Ce drame était horrible, mais la nature semblait étrangement belle. Joseph s'approcha lentement de la carcasse fumante. Les gémissements avaient reprit de plus belle. "Maman?...". Les râles devinrent plus fortes, puis un bras ensanglanté sorti de la fenêtre du passager. Il couru vers sa mère et tenta de la sortir. Mais l'espace était bien trop étroit pour un corps d'adulte. Il se pencha pour mieux voir sa mère, c'était bien elle, avec ses cheveux roux, ses yeux bleus et ses taches de son, mais son visage se tordait de douleur et de tristesse. Elle pleurait, Joseph aussi. Elle lui prit la main dans un ultime geste d'amour, sans arrêter de le fixer. Elle perdait beaucoup de sang et la ville était loin. Ils se fixèrent ainsi quelques secondes, puis ils se lâchèrent. Victor ne bougeait pas, toute sa tête était couverte de sang. Le garçon retomba en arrière et s'essuya les larmes d'un revers de manche. Le bras baissa progressivement jusqu'à rencontrer le sol et ses milliers d'éclats de verre. Ses yeux regardaient toujours son cher et tendre fils, mais à présent, ils étaient vides... Joseph resta à la regarder plusieurs minutes, murmurant le nom de sa mère de sa voix déchirée par le chagrin.

          La neige tombait toujours. Le vent n'avait pas cessé de souffler. Et la Terre n'avait pas arrêté de tourner. Mais son monde, à Joseph, venait de s'écrouler. Son bonheur avait disparu en une fraction de seconde. "Pourquoi?...". Il effleura une dernière fois la main de sa mère, sans prêter attention à son paternel. Il savait que vérifier l'état dans lequel Victor se trouvait serait inutile et douloureux. Puis il se releva. Il était à présent seul, et livré à lui-même.

          Trop jeune pour savoir quoi faire, Joseph se mit à marcher lentement sur la route enneigée. Il ne lui restait plus qu'à rentrer chez lui en espérant croiser quelqu'un sur son chemin. Il ne pleurait pas. Mais l'image de ses parents couverts de sang lui rongeait l'esprit et l'abrutissait littéralement. Il titubait, ses traces de pas dessinaient des zigzags comme si il avait bu. Il fixait le sol et ne savait pas vraiment où il allait. Ses pensées et réflexions étaient toujours brouillées par d'horribles images. Il continuait à appeler sa mère dans de faibles murmures, puis il se tut. A quoi bon parler?...

          Après une demie-heure d'une lente marche, Joseph atteignit sa maison. Avec ses murs jaunes et son jardin fleuri, la bâtisse semblait rayonnante. Mais à présent, seul le jeune garçon y habiterait. Lui, et son chagrin... Alors qu'il tentait d'ouvrir la porte, il se rendit compte qu'elle était fermée à clé. Il était hors-de-question pour lui de retourner à la voiture pour les chercher. La nuit, la forêt qui bordait la route au loin paraissait terrifiante. Joseph n'était qu'un enfant, et la peur prenait bien souvent le dessus. Par chance, il découvrit que l'une des fenêtre était restée ouverte. Il se faufila à l'intérieur tant bien que mal et déboucha dans le salon. La pièce était plongée dans l'obscurité, après avoir allumé la lumière, Joseph se retrouva nez-à-cadre avec le tableau de sa mère, au-dessus de la cheminée. Il resta immobile, contemplant l'oeuvre de son père. Charlotte, les champs de blé, son visage et sa robe qui volait au vent. Il ne pouvait pas croire que tout cela était terminé...

          Il n'avait pas la moindre idée de ce qu'il devait faire. Perdu, hébété, il déambula dans la maison sans but, sans prêter attention au nombreux cadeaux posés au pied du sapin, comme si l'enfant qui était en lui avait soudainement disparu... Du sang coulait toujours de sa blessure, laissant derrière lui quelques traces rouges mélangées au blanc de la neige. Lorsqu'il arriva dans la salle de bain et se regarda dans le miroir, il fut surprit par son propre visage: ses traits semblaient avoir changés du tout-au-tout. Ils étaient soudain devenus plus sombres, plus durs. Tout en se passant de l'eau sur sa plaie, qui après examen, se retrouva bien moins importante qu'elle en avait l'air, Joseph se rendit-compte qu'il ne ressentait aucune douleur. Il ne comprenait pas... Il ne comprenait plus rien... Tout s'embrouillait, se mélangeait. Il devait se reposer, réfléchir, et peut-être que le lendemain, tout s'éclaircirait.

          Il alla s'allonger dans le lit de ses parents, à la place de sa mère, en espérant trouver le sommeil. Toute la maison était plongée dans le noir, il régnait un calme insupportable. Ainsi les minutes passèrent... Le jeune garçon n'arrivait pas à enlever les souvenirs de l'accident de son esprit. A quoi bon essayer de fermer les yeux si il savait qu'il n'y arriverait pas?... "Qu'est-ce que je fais là...?". Il tourna en rond, pendant des heures, laissant une partie de lui-même à chacun de ses pas. L'obscurité l'envahit à nouveau, et il tomba sur le sol. Le visage baigné de larmes, et le coeur noyé de chagrin...




Never Forget Tome I : Le RêveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant