Dernier tour de table

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Pourquoi continuait-il à jouer chaque semaine avec les mêmes personnes sans jamais gagner une seule fois ? Il ignorait la réponse, mais il savait qu’il ne pouvait pas s’en empêcher. Il adorait jouer aux cartes. Même s’il perdait… Et à chaque fois, il perdait beaucoup. Pourtant, il avait toujours une main incroyable. Comment pouvait-il perdre ? Sa femme était découragée de le voir revenir à la maison tard durant la soirée, la mine déconfite et les poches totalement vides. Elle ne l’avait jamais encouragé à jouer. Elle détestait les jeux de hasard. Secrètement, elle le trouvait pitoyable de se laisser embarquer par ses amis alors qu’il ne gagnait jamais. Pourquoi ne le sortaient-ils pas de cet enfer ? S’ils étaient réellement ses amis, ils devaient l’aider. Pas l’encourager !

Ça sera peut-être mon tour ce soir. Il se disait toujours la même chose à chaque semaine. Sauf que ça n’arrivait jamais. Il perdait tout le temps. Ce n’était plus de la simple malchance.

Ne quittant pas son jeu des yeux, il cherchait à cacher son désappointement. Il n’avait pas la main qu’il désirait. Pas étonnant qu’il perdait ce soir aussi. Il vida son verre en scrutant le visage de ses amis, tentant d’y déceler la moindre émotion. Ils étaient tous impassibles. Comment font-ils ça ? Brad demanda deux cartes alors que Charlie et Wesley en demandèrent trois. Combien allait-il en demander ? Son jeu était complètement merdique, mais il ne pouvait pas en demander quatre. Les autres sauraient qu’il n’avait rien. Finalement, il en demanda deux. Il fut surpris d’avoir maintenant trois fois la même carte. En ce qui le concernait, c’était pratiquement impossible ! Charlie jeta des billets sur la table. Wesley le relança, mais Brad abandonna en jetant ses cartes sur la table. Ils se tournèrent tous vers lui.

- Alors ? lui demanda Wesley. Qu’est-ce que tu fais, Paul ? Tu joues ou tu te couches ?

Paul hésita à donner une réponse. Il avait peut-être trois fois la même carte, mais il ne connaissait pas le jeu de ses amis. Ils pouvaient très bien avoir une suite ou quatre fois la même carte ou même deux paires. Chanceux comme il était, la situation pouvait très bien se retourner contre lui. Il avait déjà perdu cinq cent dollars… Il était très nerveux. Pour une fois, il avait un jeu passablement intéressant, mais il risquait encore de tout perdre. Et ce n’était pas ce qu’il ne voulait pas. Il relança, le visage sérieux.

- Ce n’est pas vrai… soupira Brad.

- Qu’est-ce qui t’arrive ? lui demanda Charlie. Tu cherches à perdre à nouveau ? Si tu perds encore une fois, ta femme va te larguer !

- Elle l’aurait fait depuis longtemps, marmonna Paul.

Reportant son attention sur ses cartes, il attendit que Charlie fasse quelque chose. Tout le monde autour de la table semblait absorbé par ses pensées. Paul était impatient d’en finir. Il pouvait perdre, il le savait. Mais il pouvait aussi gagner. Et cette fois-ci, il avait bon espoir de remporter la mise. Par contre, s’il perdait encore une fois, il ne lui restait plus rien à miser. Ça le rendait encore plus nerveux. Il devait se concentrer sur son jeu et ne plus penser à rien d’autre. Tout reposait sur cette main. Il tentait de contrôler les tremblements de ses doigts. Il ne pouvait pas se permettre de perdre une autre fois. Il ne le voulait pas. Il appréhendait le moment de montrer son jeu. Wesley déposa ses cartes sur la table, un petit sourire sur les lèvres. Il avait une simple paire. J’ai mieux ! Malgré l’immense joie qu’il ressentait, il resta aussi calme que possible. Il ne devait rien laisser paraître. Charlie lui fit signe.

- C’est ton tour, Paul.

Le moment de vérité est arrivé… Il déposa ses cartes devant lui sur la table, retenant son souffle. Brad eut un hoquet de surprise alors que Wesley poussa un juron. Ressentant une immense vague de fierté et de soulagement, Paul avança la main pour récupérer l’argent au milieu de la table lorsque Charlie lui demanda de ne pas lui voler son argent. Une étincelle brillait dans ses yeux. Non ! Il n’a pas le droit de me faire ça ! Dans un grand geste théâtral, Charlie déposa fièrement ses cartes sur la table. Paul ne pouvait pas les quitter des yeux. Pourquoi est-ce que ça lui arrivait tout le temps ? Il n’avait rien fait pour mériter si peu de chance. Charlie avait quatre cartes semblables. Comment était-ce possible ? Ses amis se mirent à rire en frappant dans leurs mains.

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