Ma vie

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Il nous arrive parfois de retourner dans le passé pour faire le point sur ce que nous avons pu faire. Et nous tombons sur les nombreux regrets que nous pouvons avoir. Durant toute notre vie, il y a toujours des choses dont nous sommes très loin d’être fier d’avoir fait. Un bonbon volé durant l’enfance, un mensonge raconté à sa maman, de l’argent « emprunté à long terme » dans le portefeuille de son papa, la lecture complète du journal intime de sa grande sœur, la fille horriblement laide ramenée pour la nuit après une soirée un peu trop arrosée… Tant de choses pour lesquelles nous pouvons ressentir des regrets et des remords.

C’est peut-être pour cette raison que j’écris toutes ses lignes. Parce que j’imagine que c’est ce que je dois éprouver. Sauf que ce n’est pas le cas. Aucune honte non plus. Il est possible de dire que ma vie a quelque chose de très banale.

Je m’appelle Richard Delisle et je viens tout juste de fêter mes quarante-six ans. Je suis le cadet d’une famille de cinq enfants. L’aîné se nomme Édouard. Ensuite, il y a Madeleine et Madeline, séparées par deux minutes. Nelson est plus âgé que moi d’environ dix mois. Je n’étais pas prévu, en fait. Ma mère est tombée enceinte par accident.

J’ai grandi dans une petite ville au nord de Rimouski. Ce n’est pas la peine de donner le nom de la ville puisque personne ne connait ce trou perdu. Mes parents s’y sont installés après ma naissance. Apparemment, ils ont choisi cet endroit pour nous protéger, moi et mes frères et sœurs, des tourments de la ville. La maison se trouvait à la sortie de la ville. Le plus proche voisin se trouvait à un kilomètre. Aucun danger d’être dérangé durant la nuit par la musique des voisins ! La maison était toute petite. C’était une ancienne ferme, mais il n’y avait plus d’animaux ni d’équipement depuis longtemps. Je ne crois pas que ma mère aurait pu y survivre.

Elle s’ennuyait beaucoup de la ville, même si elle avait fait le « sacrifice » ultime pour élever ses enfants dans un environnement stable et tranquille. Elle devenait de plus en plus dépressive à cause de l’isolement. Elle refusait de laisser sortir mes sœurs afin qu’elles ne deviennent dévergondées comme toutes les filles de la ville. Par contre, mes frères et moi pouvions faire absolument tout ce que nous voulions. Mon père n’était jamais à la maison. Il ne faisait que travailler pour subvenir à nos besoins. Édouard fut engagé à la même usine que lui quand il eut seize ans. Ma mère en eut le cœur brisé pour une raison que je n’ai jamais compris. Peut-être le fait de le voir grandir et devenir adulte… Il restait toujours sous le même toit que nous, mais il partait travailler avec mon père à tous les matins. Pour une raison que j’ignore, ma mère agissait comme s’il était mort. Elle devait quand même se douter qu’un jour ou l’autre ça devait arriver.

Les choses ont finalement changé un peu trop drastiquement lorsque ma sœur Madeline s’est fait surprendre dans la grange derrière la maison. C’est moi qui suis tombé sur la scène, sauf que je ne voulais pas la trahir. Mais ma mère me suivait… Mon père était hors de lui. Madeleine a pris sa défense en racontant à mes parents que Madeline la couvrait. Mensonge ! Du jour au lendemain, mes sœurs ont quitté la maison, emportant toutes leurs affaires. Mes parents ont commencé à agir comme si elles n’existaient plus. Leurs noms ne pouvaient plus être prononcés dans la maison. Je n’ai jamais compris pourquoi mes parents avaient réagi de cette façon. C’est à ce moment-là que mon père a commencé à me donner des corrections dès que je prononçais le prénom d’une de mes sœurs. Et à chaque fois, ma mère pleurait alors que mon père levait la main sur moi. Elle ne s’est jamais interposée. Alors du coup, les femmes ne représentent pas grand-chose pour moi. Elles ont une certaine utilité, mais très minime. Il est donc possible de dire que je traite les femmes de cette façon à cause de mon père. Il n’a jamais rien fait pour me prouver le contraire, non plus.

Ah oui ! J’ai oublié de mentionner quelque chose. Je suis présentement dans le couloir de la mort pour les meurtres de plusieurs femmes. Je tenais méthodiquement un journal, à l’époque. Depuis, j’ai un peu perdu le compte, mais je crois qu’il est possible de dire que le nombre total avoisine plus ou moins cent cinquante victimes présumées, selon les policiers. Ai-je des remords pour ce que j’ai fait ? Non, pas du tout. Ces femmes ne valaient rien aux yeux des gens. Toutes des femmes de petite vertu, vous voyez ?

Je me souviens de la toute première… Ce n’était qu’un simple accident. Je ne voulais pas la tuer, mais je n’ai pas pu faire autrement. Je refusais qu’elle se moque de moi et raconte des ragots à mon sujet. Nous étions plus ou moins proches, à cette époque. Elle venait me rejoindre en cachette dans la grange tard durant la nuit. Nous buvions beaucoup avant de nous embrasser. Puis un jour, elle a refusé d’aller jusqu’au bout avec moi. Elle refusait depuis trop longtemps et ça m’a agacé. Elle était venue me rejoindre comme d’habitude pour m’avertir qu’elle s’en allait. J’ai simplement voulu fêter son départ ! Mais elle ne voulait pas. Je lui ai seulement donné une correction pour qu’elle comprenne qu’il ne faut pas me dire non. C’est tout ! Elle est tombée et s’est brisée le cou. Ce n’était pas ma faute. Sauf que j’ai dû cacher son corps sous les lattes du plancher de la grange. Comme elle avait raconté à tout le monde qu’elle partait, personne n’a soupçonné quoi que ce soit.

Son corps est toujours là-bas, je crois. A moins que la police n’y soit déjà.

Il est possible de dire que j’ai officiellement commencé ma carrière de meurtrier en série à l’âge de vingt ans. A cette époque, je poursuivais mes études à Montréal et je travaillais à temps partiel comme plongeur dans un petit restaurant. Ce n’était pas un très gros chèque, mais ça couvrait l’essentiel de mes maigres dépenses. Je n’étais pas très doué avec les filles. Alors je mettais un peu d’argent de côté pour me payer une jolie compagne pour une ou deux heures. Je faisais ça au moins une fois par mois. Et un jour, tout a changé. La prostituée s’est mise à rire en me voyant nu devant elle. Je suis loin d’avoir le physique d’un athlète. Le problème se trouvait là. Je me suis mis en colère et je l’ai étranglée sans pitié avec sa propre écharpe écarlate.

A partir de ce jour, j’admets avoir tué une fille de joie par mois et ce jusqu’à mes quarante ans. La dernière, je l’ai laissée pour morte. C’est de cette façon que la police a pu remonter jusqu’à moi. Je n’ai pas résisté à mon arrestation. Je suis conscient de mes actes et j’assume tout ce que j’ai fait. J’étais juste déçu d’avoir commis une erreur aussi ridicule.

Ensuite, j’ai subi mon procès comme un grand garçon pour ensuite être condamné à la peine de mort. Je ne voulais pas d’avocat. Et je n’ai pas fait appel de ma sentence. Et j’ai enfin pu revoir mes sœurs ! Elles sont toujours aussi jolies et gentilles que dans mes souvenirs. Elles sont venues me vois aussi souvent qu’elles ont pu le faire. Maintenant, ce n’est plus possible. Je serai exécuté d’ici quelques heures. Ça ne me fait pas peur. J’aurai aimé qu’elles me tiennent la main, mais personne n’a accepté ma requête. Même si j’ai fait des aveux complets en plus de leur fournir le journal que j’écrivais depuis le début.

A quoi servent les remords ?

FIN

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