12:03.
- Alors tu réponds pas ?
- Oooh manquez plus que lui je te jure !
Mon regard dirigé vers Sarah, j'essaye de lui faire comprendre qu'il ne faut plus qu'elle parle pour essayer de calmer l'atmosphère. Les autres passagers du bus ne doivent pas nous entendre ils n'ont pas besoin de connaître nos problèmes. Yacoub a l'air énervé mais il reste quand même tout sourire. Il essaye peut-être de se calmer ? Sarah elle, continue de lever les yeux et de soupirer chaque seconde. L'ambiance n'est pas bonne. Je savais qu'il ne fallait pas parler de ça dans un endroit public. Je ne l'ai même pas vu sortir, je ne sais même pas où il était. Je sens que Sarah va s'énerver et va le remettre en place. Je redoute cet instant et prie au fond de moi pour qu'il ne se passe rien. D'un coup, Sarah se tourne légèrement vers la droite, dans la place où est assis Yacoub juste à ses côtés. Elle le fixe dans les yeux.
- Tu veux quoi concrètement ?
- Je veux savoir c'est quoi ton putain de problème ? Hein ? Qu'est-ce qu'il y a ?
- Pourquoi tu colles tout le monde et surtout les filles qui sont nouvelles ? T'es en manque de quelque chose ? Tes spermatozoïdes ils ont pas fait de sorties depuis longtemps c'est ça ? Ils ont besoin d'un car pour s'amuser et le nouveau car c'est Boutheïna ?
Je regarde Sarah les yeux grands ouverts. Yacoub la regarde aussi l'air choqué. Je savais qu'elle avait du répondant mais à ce point ? Jamais ! Je n'arrive pas à me retenir et commence à rigoler. Je me cache derrière mes mains. Yacoub tourne son regard vers moi et commence à me sourire.
- T'as vu même toi tu rigoles ! Elle raconte n'importe quoi elle est dans un monde encore jamais connu !
- Ah ouais ? T'es connu dans toute la fac Yacoub arrête un peu ! C'est à cause des rebeus comme toi que nous les filles on croit que vous êtes tous des bâtards !
- Oui bah bien sûr ! Avant de me juger faut un petit peu chercher est-ce que c'est vrai ou pas petite hijabeuse deux point zéro !
- Eh eh tu vas rester zen avec moi je te dis direct hein ! Reste calme petit !
- Hahahahaha vas y vas y tu sais quoi ? Que Dieu t'aide wallah t'es perdue mais genre vraiment loin tu vois comment ?
- Ouais ouais évite de dire le mot 'Dieu', ne le sort pas de ta bouche là on sait jamais elle a touché quoi ta langue ces temps-ci !
Yacoub se lève et se dirige vers sa bande d'amis qui se situe vers l'avant du bus. Avant de trop s'éloigner il dit à Sarah :
- T'es perchée a3oudoubillah menek !
- Ouais ouais allez casse toi !
Je regarde la scène un peu gênée. Si tout cela a commencé, c'est de ma faute. Si je n'avais pas parlé de Yacoub, il n'y aurait pas eu tout ce problème et cette engueulade. Je m'en veux un peu et baisse la tête pour ne pas croiser le regard de Sarah. Elle regarde dehors puis au bout de quelques secondes, essaye de trouver mon regard.
- Pourquoi tu baisses la tête ?
- Pour rien !
- Si je vois bien que quelque chose ne va pas Boutheïna !
- Non non t'inquiète pas !
- C'est à cause de la dispute que je viens d'avoir avec l'autre con là ?
Je la regarde sans sortir un mot. Elle comprend que ma réponse est oui et elle souffle en levant les yeux vers le haut.
- Ouf Ya Rabbi (mon dieu) ! Pourquoi tu calcules ça ? Je suis habituée à m'engueuler avec lui c'est pas la première fois !
- Oui mais là cette fois-ci c'était à cause de moi !
- Aaaah voilà le problème ! Je savais que ça n'allait pas !
- Je suis désolée vraiment !
- Mais non Boutheïna t'as rien fait c'est lui qui est juste con c'est pas de ta faute ! Allez faut descendre !
Je la regarde et souris puis prends mon sac et nous nous dirigeons vers la porte du bus. Je lui fais la bise et je pars vers ma direction. Yacoub est-il vraiment comment elle me le décrit ? C'est vrai que si je devais faire confiance aux apparences, toute la description de Sarah serait juste de À à Z mais quand il parle et dit que ce n'est pas vrai, il paraît tellement sincère. Je ne sais plus quoi penser !
13:35.
- Tu penses qu'on aura des chances de le retrouver alors ?
Laura baisse la tête et ne répond pas à ma question. Je le savais, je le sentais ! La police a réussi à trouver quelques réfugiés disparus mais la plupart d'entre eux sont morts. J'ai demandé si mon frère faisait parti du lot et elle m'a répondu qu'elle ne savait rien de tout ça et qu'il faudrait que j'aille voir les corps et les réfugiés encore vivants, ce soir à 19 heures. J'appréhende énormément. J'ai peur de découvrir le corps de mon frère. Si je le vois, je sais que je ne pourrai plus continuer à vivre. C'est impossible, je ne peux pas ! Je décide de partir vers mon lit et prépare mes affaires pour les cours. Je dois partir maintenant. Je pars sans dire au revoir à personnes. L'envie n'y est pas, la peur elle, est bien là !
19:03.
- Vous pouvez entrer !
Je regarde le médecin accompagnée d'une infirmière qui me sourit. Je n'ai pas la tête à sourire ou rire. Il le comprend et efface directement son petit sourire pour laisser place à un visage sérieux et un minima triste. Il m'ouvre la porte d'une salle et le froid commence à se faire ressentir. Je suis dans la morgue ! Je regarde tout autour de moi et l'endroit fait vraiment peur à voir. Des frissons me traversent tout le corps. Je décide d'attendre que le médecin vienne devant moi. Un autre médecin entre et une autre femme entre aussi. Nous sommes quatre désormais. Un des médecins regarde une feuille.
- Adolescent de 14 ans d'origine libanaise retrouvé mort à Lyon.
Mon corps se crispe. Ma gorge se noue. Mes bras croises, je serre de plus en plus fort mes mains contre eux. L'autre médecin entre une clef dans le grand coffre puis sort le corps. Au moment où le corps commence à apparaître, je ferme les yeux. J'attends qu'il n'y ait plus aucun bruit. Au bout de quelques secondes, l'infirmière dépose sa main droite sur mon dos.
- Vous pouvez ouvrir...
Je réfléchie avant d'ouvrir mes yeux puis en coupant ma respiration d'un coup sec, je les ouvre en laissant tomber directement mes yeux vers le corps inerte devant moi.
- C'est votre frère... Mademoiselle ?
Mes mains lâchent mes bras pour se laisser tomber tout le long de mon corps. Ma respiration est coupée, mes yeux vidés, les battements de mon cœur stoppés, pour me laisser voir cet être devant mes yeux couché que j'ai tant aimé !
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Le Garçon et La Migrante
Ficción GeneralBoutheïna, jeune fille libanaise âgée de 26 ans et vivant seule avec son petit frère âgé de 14 ans, travaille en tant que dentiste dans un petit village se situant au nord du Liban. Jeune fille dynamique et très généreuse, elle reste tout de même co...