Chapitre 2 - Rapporteur

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Il ne fallait pas se fier à l'appellation qui, dans la civilisation d'avant, aurait semblé péjorative. A Dillermo, être rapporteur signifiait le courage, la force de l'esprit et du corps, et la responsabilité d'un avenir meilleur. Les rapporteurs étaient des hommes et des femmes entraînés, n'ayant peur de rien, qui devaient affronter les tunnels. Seuls chemins permettant de quitter Dillermo, de traverser ces immenses étendues de rien, camouflées par les rochers, pour rejoindre le reste de la terre. Seul endroit où il était encore possible de trouver de nouvelles denrées, qu'elles soient alimentaires ou autres. Mais de rapporteurs, sur les quelques dizaines de candidats potentiels, âgés de 21 ans et participants à la cérémonie chaque année, 6 seulement étaient sélectionnés pour espérer obtenir ce titre, et seulement deux finissaient la course. Un pour le devenir assurément, et l'autre pour le remplacer en cas d'accident tragique. Etre le second signifiait donc une possibilité de ne jamais pratiquer, si le premier rapporteur s'en sortait sans encombre durant ses missions.

Et après une réflexion de près de 21 ans sur la question, j'étais arrivé à un constat indéniable : Je ne pouvais pas être second. d'ailleurs, je ne pouvais pas être autre chose qu'un rapporteur. Mon père l'avait été, tout comme son père, et le père de son père. C'était une destinée familiale que l'on m'avait raconté mille fois, comme si nous avions été élus pour n'être que ça, génération après génération. Fort de cette situation purement exceptionnelle, la cérémonie était pour moi une simple formalité, à laquelle je devais me plier, et dont l'issue me paraissait déjà toute tracée, tout comme pour la formation qui suivrait. Je n'avais même jamais eu l'occasion de m'imaginer autrement que dans ce rôle, qui me faisait, qui plus est, totalement envie.

Et puis, à une semaine du grand jour, Paride, notre référant, décida de faire le tour des habitations où les participants vivaient, afin de nous préparer à l'occasion, comme le voulait la coutume. Depuis la fenêtre du salon de la petite maison de mes parents où nous étions contraint de vivre jusqu'au jour de nos 21 ans, je le vis entrer chez Réro, mon voisin et meilleur ami depuis toujours. Je savais alors que je serai le prochain, et j'allais avoir le premier entretien de mon existence avec Paride. J'avais tant de questions à lui poser.

Alors qu'il était probablement en train de préparer mon ami, tout s'entremêlait dans mon esprit, pris de peur d'oublier la moitié des choses que j'avais prévu d'exposer au référant. Je savais qu'il y avait peu de chance pour que je me retrouve dans un autre titre que celui dont ma famille avait toujours bénéficié, mais il me fallait malgré tout en savoir davantage. J'étais convaincu que pour devenir un bon rapporteur, il fallait également s'intéresser aux situations du reste de notre peuple, sans quoi, à quoi bon vouloir les aider ?

Durant cette attente, j'eus le temps de passer en revue une bonne centaine de questions sans réponses. Mais au moment précis où j'entendis frapper à la porte, mon sang se figea dans mon corps, et je fus pris d'une légère angoisse. Je sentais les mots se bousculer dans ma tête, sans qu'aucun d'eux n'eussent pu sortir de façon convenable de ma bouche. Sans avoir le temps de réagir sur la situation que j'allais vivre, je vis ma mère ouvrir la porte, et Paride, fort et doté d'une prestance incroyable qui lui a toujours donné une immense crédibilité dans son rôle, se tenir bien droit, sur le devant de la maison. Paride salua ma mère, avec une grande politesse, et ne se priva pas de lui lancer quelques compliments sur la décoration de notre demeure, sans grands fondements. Puis, très rapidement, je sentis le regard de Paride se poser sur moi. J'eus le sentiment qu'il lisait en moi comme dans un livre ouvert. Je sentis les pensées qui traversèrent son esprit à cet instant précis. Le référant devait se dire que j'avais bien plus l'allure d'un gamin, que celle d'un homme. Tout juste bon à encore traîner dans les jupes de ma mère, trop frèle pour la plupart des métiers proposés au sein de la nation. Ses yeux semblaient me juger comme étant un sacrifié potentiel. Et alors que je l'imaginais déjà faire demi tour, sans me prodiguer aucun conseil, il s'adressa à moi, pour m'inviter à trouver une pièce calme, où nous pourrions discuter de mon avenir. 

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