Du Bout des doigts

Chapitre 9: Poulains

Je me lève et y vais...
"-Marieme, dit Khalife,je te présente Djibril, il a 16 ans et lui aussi fait de l'athlétisme. C'est le champion national.
-Salut Djibril.
-Salut.
-Vous êtes sûrement au courant que vous êtes les deux seules personnes que je coache, j'ai donc décidé que vous alliez vous entraînez ensemble. Bien entendu, vous avez le droit de ne pas être d'accord, mais je pense que c'est une bonne solution. 2 fois par semaine, vous aurez tout de même un entraînement séparé. Ça vous convient?
-Heuu...
-Moi ça me va, répond Djibril.
-Bon bah, ok.
-Bien. Ça va vous permettre d'avoir un minimum de compétition. C'est toujours bénéfique. Il y a des qualités que l'un a mais pas l'autre. Il en va de même pour les défauts. Je vous laisse faire connaissance. À demain, 16h30 en tenue."

Okkkkk. On le salue et part s'asseoir. Je suis vraiment nulle pour faire la conversation, mais tente tout de même, ce qui donne une magnifique phrase:
"-Alors comme ça tu es champion national?
-Oui, ça a pris du temps, mais oui. Je n'ai pas eu beaucoup de chance, je me suis blessé juste avant les sélections. Heureusement, mes chronos précédents avaient impressionnés et j'ai pu être directement sélectionné pour les nationales. Et toi? Je suppose que tu as un bon niveau s'il t'a choisie.
-S'il m'a choisie?
-Oui, il choisit ses poulains en fonction de leur caractère et de leurs chronos. Mais ce qu'il regarde surtout c'est si tu es passionnée. Alors je suppose que c'est le cas pour toi.
-Ahh. Bah oui, je ne vis que pour ça, c'est mon plus grand rêve que de vivre de ma passion, mais bon, là, ça risque d'être difficile.
-Pourquoi?
-J'ai été sélectionnée pour entrer à l'INSEP, c'est l'équipe de France si tu veux. Malheureusement, ma mère a décidé de m'emmener ici pour 3 mois. C'est fichu pour les Jeux Olympiques. Je m'étais entraînée si dur...
-Pourquoi dis-tu que c'est fini ?
-Parceque je n'aurai plus ma place. J'ai déjà réussi de justesse à être gardée pour la rentrée prochaine à l'INSEP, alors garder les même temps, ça va être chaud. C'est pour ça que je veux continuer à m'entraîner. Car je veux revenir et être capable de reprendre mon niveau en rentrant.
-Qui te dis que tu vas le perdre si tu restes ici? Tu sais, ce coach est vraiment top, il va te faire progresser. Si tu penses que parce que tu es au bled c'est moins bien, alors tu te trompes. C'est que tu es pleine de préjugés. Crois-moi, ici aussi on forme de bons athlètes. Regarde Usain Bolt. Il est jamaïcain. C'est un pays en voie de développement et pourtant il est recordman. Il n'y a peut-être pas des palaces qui ont vu passer des rois, ni des maison pavillonnaires à tout va. Il fait peut-être chaud, il y a peut-être des descendants d'esclave. Peut-être que nous ne formons pas les meilleurs ingénieurs, mais on s'en fout. Ce n'est pas une étiquette de pays "en voie de développement" qui va nous arrêter. Tout pays, comme toute personne a des choses à prouver. J'étais comme toi au début. Des clichés plein la tête. Et puis, j'ai pensé par moi-même. J'ai ouvert les yeux et je me suis dit "putain, regarde ce pays, il en a dans le ventre". Tu verras, toi aussi tu vas l'aimer. Ce n'est pas les livres d'histoire qui définissent ce qu'est ou non un pays.

-Tu as raison, désolée. C'est juste que j'étais obnubilée par une seule et unique voie pour toucher au but et... Bref. Tu es de quelle origine à part sénégalaise ?
-Belge. De part mon père. Il est venu ici pour voyage d'affaires, a rencontré ma mère. On a vécu ici jusqu'à mes 3ans, puis en Belgique jusqu'à mes 13 ans et me revoilà.
-D'accord. Et comment tu as rencontré Khalife?
- À l'époque, il travaillait dans un club fermé. Je me suis inscrit et il a toujours été mon coach. Et  puis, il a pris sa retraite. C'est lui qui a fait de moi le coureur que je suis. On ne change pas une équipe qui gagne comme on dit, alors j'ai l'ai suivi. Je suis son poulain, comme il dit. Il me protège,  m'encourage et me fait progresser. Je le soutiens, le respecte et le met à jour haha. Et toi alors? Ta vie en France raconte moi.
-Bah, il y a rien de fou à dire. Mes parents sont divorcés et je fais de l'athlétisme depuis que je suis petite. J'ai commencé par le saut, mais je me suis vite redirigée vers le sprint. Je suis obligée de courir, j'adore ça. Quand j'ai appris que je pouvais aller chez les bleus, je n'y croyais pas. Et maintenant je suis là. J'avais une grande rivale, j'espère qu'on se reverra aux Jeux. Ça fait bizarre de dire ça. On dirait que je suis une pro.
-Waouh. T'inquiète pas, il va t'y emmener aux jeux. D'ailleurs tu l'as rencontré comment Pape.
-Qui ça ?
-Khalife. Je l'appelle Pape. Ca veut dire papa en wolof. Je voulais l'appeler Mame, qui veut dire grand-père et grand-mère, mais il ne voulait pas. Alors je l'ai appelé Pape. Tout comme il m'appelle Poulain.
-Ah ok. Bah en fait... (Je lui raconte toute l'histoire). Et voilà. Tu crois que moi aussi je pourrais devenir son poulain?
-Crois moi sista, tu l'es déjà. S'il t'accepte, il fait tout pour toi. Tu deviens sa protégée. Mais c'est dur de lui taper dans l'œil. C'est un peu comme dans Harry Potter. C'est la baguette qui choisit son sorcier. Ici, c'est Khalife qui choisit son coureur. Il t'a choisie, tu le mérites.
-Merci. On se voit demain alors.
-Salut."
Je rentre chez moi le cœur léger. Je repense à tout ce que m'a dit Djibril. Il a raison. Je suis venue pleine d'appréhension. Je me fais alors la promesse de toit faire pour ne pas décevoir Khalife.