Je fais demi tour pour apercevoir le chrono quand je vois... NOOON!!! C'est injuste!! Pourquoi?! Pourquoi elle?!
Jeanne est allongée, hurlante de douleur, se tenant la jambe. Je tape un sprint. J'ai l'impression de ne pas aller assez vite, de peser des tonnes. J'arrive devant elle. Elle sanglote. Je pense que c'est plus la déception que la douleur qui la fait crier. C'est sûrement une entorse nous disent-ils.
Quelle horreur ! Elle voit ses rêves s'échapper à cause d'un blessure. Je me mets à sa place. Être arrivée aux championnats du monde junior, c'est déjà un exploit. S'être battue depuis toute petite, et encore à l'INSEP. Avoir travailler dur, ne comptant que sur ça, pour au final voir ses rêves s'échapper. À cause d'une blessure, à la dernière minute. Putain!! Elle n'a même pas pu faire la course, elle n'a même pas pu courir le 200 mètres, son épreuve fétiche. Je comprends ses larmes. Je ressens sa douleur. Je perçois son désespoir. Mais je crois que je ne sais pas ce que ça fait. Il faut le vivre. Elle touchait son rêve du bout des doigts, et une foutue entorse qui va durer un petit mois, l'empêche de l'empoigner. Les médecins l'emportent sous les applaudissements. Je pleure. Je pleure pour elle. Sans savoir si cette blessure l'empêchera, les années suivantes, de progresser, ni si elle se refera mal.
Une femme me tend une peluche. Ça me ramène à ma course de qualification pour l'INSEP.Je me reconcentre sur ma course. Je cherche le chrono. Je pense à ma promesse. 10'57. J'ai réussi ! Je l'ai battu! J'ai battu le record du monde junior de 100 mètres. J'ai tenu ma promesse. Il était de 10'70!! Je cherche Khalife des yeux. Il me fait des signes. J'ai tenu la promesse que je lui ai faite avant de partir. Être détentrice du record. C'est fait. Malgré la blessure de Jeanne, je ne peux m'empêcher de me réjouir. Enfin!! Je me sens tellement bien. J'ai la sensation d'avoir accompli mon devoir.
Cependant, je redescends bien vite sur terre. Demain, a lieu la finale du 200. Sans Jeanne. Je n'ai pas le droit de la voir à l'infirmerie, malheureusement. Je vais me coucher la boule au ventre.
C'est le coeur lourd que nous nous réveillons ce matin. Une amie, une partenaire et un espoir en moins. Surtout qu'elle devait courir le 4×100 avec nous. Je me concentre sur le 200 mètres pour l'instant. Je me place sur la ligne. J'ai un sourire amer en constatant que Jeanne n'est pas à côté de moi. Je suis couloir 4. Je ne sais pas si vous vous souvenez de Maïmouna, qui était dans le "vrai club" de Dakar, mais elle n'a pas été qualifiée, elle s'est blessée à l'entraînement car elle a trop forcé, suite aux conseils des coachs. Et Estelle qui a été prise à l'INSEP en même temps que nous, et bien, elle n'a pas accédé à la finale du 100 mètres, mais à celle du 200. Bref. Je salue comme une miss, ça me fait rire en fait.
Mon corps s'élance tout seul des starts. L'image de Jeanne, au sol, me revient brièvement. Je l'oublie. Ce n'est pas le moment de penser à une blessure. Je préfère penser à ses foulées quand elle court. Même si je la bats depuis peu, elle a tout de même une excellente technique.
Il paraît que quand vous visualiser un mouvement dans votre tête, vous arrivez plu facilement à le reproduire. Quand vous êtes blessé, par exemple, si vous vous "entraînez" mentalement, vous récupérerez plus vite vos réflexes que si vous ne le faites pas.
Moi je ne suis pas blessée, mais je l'imagine, devant moi, avec sa technique presque parfaite. Ça me pousse à me dépasser, à vouloir la rattraper. Et finalement, je finis la course en tête plus vite que je ne l'aurais cru.Explosion dans mon coeur et dans les tribunes. Des cris de joie. Je crie "C'est pour toi Jeanne!" Je l'ai fait. Pour tout vous dire, on ne s'habitue pas au succès. Moi pas. Je ressens toujours ce même plaisir à passe en tête. Cette même surprise aussi. J'ai toujours l'impression d'être cette ado, un peu ronde aux championnats départementaux. Mais non, je suis à ceux mondiaux. Et je viens de réaliser un doublé. Waouh!!
Antoine est dans les tribunes. Je cours lui demander des nouvelles de Jeanne. C'est une entorse, mais elle est très déçue. Je n'ai toujours pas le droit de la voir, mais je peux l'appeler.
Je le fais sur le champ. Je sens qu'elle est vraiment contente pour moi, mais je perçois sa déception. Je tente de la rassurer. Ça n'enlève rien à son niveau. Elle aura tout le temps après, c'est "juste" une entorse.Il nous reste une dernière course: le relais. Du coup, c'est Estelle qui va remplacer Jeanne. Avec les filles, on s'est entraînées à la transmission du relais, puisque tout est déréglé maintenant. Je passe la dernière. Lourde responsabilité. On sait très bien que ce n'est pas notre équipe de départ, mais on veut y croire quand même. Même si Estelle n'a pas été qualifiée pour le 100 en finale, il n'empêche qu'elle fait de superbes départs. Elle sera donc n°1 pour nous. Il faut juste qu'elle tienne la distance.
On se place tout autour de la piste. Le départ est donné. Comme prévu, Estelle se place première. Ça déconcentre ses adversaires qui dérèglent leurs foulées. Au bout de 60 mètres, l'acide lactique est puissant et absolument tous les sprinteurs décélérent. C'est ce qui arrive aussi à Estelle. Elle se fait rattraper par la Grande-Bretagne et les États-Unis. Le passage du relais se passe bien avec Mia. Ça nous arrange, car elle a des départs plutôt moyens. Là, elle n'en a pas besoin. Bref, elle colle les Anglaises mais les USA sont devant. C'est le tour d'Anaïs. Si seulement les Ricaines voulaient bien faire tomber leur témoin!! Mais non, tu ne dois ta réussite qu'à toi même, pas à la maladresse des autres. Bref. Je me tourne, tend la main dans le dos et commence à partir. Je sens le bâton dans ma main et je m'élance. Je dépasse bientôt les Anglaises. Il me reste 20 mètres. J'ai beau tirer de toutes mes forces, pencher le buste, rien n'y fait. Nous sommes deuxièmes.
Je suis dégoutée quand même. Mais bon, ça aurait pu être pire. Je prends les filles dans mes bras. On a quand même bien joué.
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Du Bout des doigts
General FictionMarieme est une jeune ado qui ne vit que pour le sprint, pourtant, sa mère l'oblige à vivre pendant 3mois au Sénégal, son pays natal, pour qu'elle apprenne ce qu'est la vraie vie....