Chapitre 28 suite

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Je décide de lui poser une question qui me taraude l'esprit depuis quelques temps.

"-Antoine, tu penses que je vais pouvoir y arriver malgré ma blessure?
-Marieme, bien-sûr que oui, tu as eu une entorse, c'est tout. Si même certains athlètes paralympiques participent aux J.O et font de très bons résultats alors pourquoi tu n'y arriverais pas alors même que tu es guérie?
-Je ne sais pas... Ça ne fait pas longtemps, imagine que ma blessure soit mal guérie ou que la douleur revienne.
-As-tu l'impression d'avoir été mal soignée ?
-Non. C'est la vérité. l'INSEP dispose d'un centre de recherche des plus avancés d'Europe et de matériel dernier cri. Tout a été mis en oeuvre pour que mon rétablissement se passe au mieux. Mais j'ai peur que mon corps réagisse mal, je ne sais pas pourquoi.
-Bien. Alors aucune raison d'avoir peur.
-Mais...

-Pas de mais!! Ce qui te fait peur c'est de perdre, c'est tout. Et tu te caches derrière cette excuse de la blessure. Tu prépares le terrain au cas où tu perdrais. Mais arrête. C'est inutile. Tu as travaillé, tout devrait bien se passer. N'aie pas peur des autres. Si tu dois perdre c'est qu'elles sont meilleures, ce n'est pas que tu as mal travaillé. La vérité c'est que la blessure a un impact psychologique plus important que physique. Tu as peur de te refaire mal et ça te bloque mentalement. Tu n'as plus envie de te forcer ni d'aller au bout de peur de te blesser une fois de plus. Mais non. Le corps humain est bien fait. Tu as travaillé tes faiblesses, elles ne sont plus là. Bien entendu, ton genoux reste plus fragile, mais il ne cédera qu'en cas de faux mouvement. Il faut que tu te mettes bien ça dans la tête. Cette blessure ne t'empêchera pas de gagner. Au contraire, tu prouveras que tu es encore dans le jeu et que ce n n'est pas une entorse de rien du tout qui te mettra out. Entendu?
-Oui...
-Bien. N'y pense plus."

Son speech m'a fait du bien. C'est fou comme il arrive à trouver les bons mots facilement et à me rassurer. Deux discours en dix minutes et me voilà remontée à bloc. Il n'est pas coach pour rien. Mais il a touché un point : l'impact psychologique. Je me rends compte qu'il a raison. Cette blessure est une excuse au cas où je perdrais. Je tâte le terrain, j'imagine déjà cette possibilité alors que je devrais l'écarter. Il faut que je me ressaisisse! Cette blessure n'est rien et elle ne m'empêchera pas de faire au mieux!!

Je suis de retour.

***

Je suis dans le car de l'équipe de France. La plupart des athlètes a son casque sur les oreilles, le visage inexpressif et tente de décompresser et de se concentrer. Moment de calme avant les photographes. Ensuite viendra le vestiaire, dernier temps calme avant la foule.

Moi, j'observe. Ça me détend de voir le stress des autres. Bizarre mais efficace. Jeanne est à côté de moi. Sa blessure aux championnats mondiaux l'a détruite pendant un temps. Ajoutée à ça la frustration de savoir qu'elle est sortie sur blessure et pas à cause de son temps. Mais elle est revenue. Elle a faut un vrai travail sur elle-même, aidée par les psychologues de l'INSEP qui ont fait un boulot remarquable.

Elle a compris que les autres attendaient beaucoup d'elle mais que c'était surtout elle qui attendait beaucoup d'elle même. Elle a donc pris plus d'un an pour se remettre à niveau, sans faire une seule compétition. Je peux vous dire qu'elle a progressé.
"I'm working on myself, by myself, for myself" m'a-t-elle dit un jour. Juste pour elle.

Et la voilà qualifiée elle aussi pour ces championnats. Mon acolyte et rivale du début. Le recommencement de son apprentissage l'a d'ailleurs rendue redoutable aux 100 mètres. Je souris en la voyant tellement confiante. Elle m'a redonné confiance elle aussi par rapport à ma blessure. Et si elle s'en est sortie, il n'y a pas de raison pour que moi je n'y arrive pas.

Le trajet se termine. Je descends, souriante. Quelques photographes sont postés à l'entrée. Nous sommes arrivés tard pour éviter la conférence du début. Direction les vestiaires. Test anti-dopage qui nous attend. Je soupire, mais je n'ai pas le choix.

Après toutes ces étapes effectuées vient enfin le moment redouté. L'échauffement. Il n'y a pas de raison que ça se passe mal, hier tout s'est bien passé, comme avant d'ailleurs. On nous appelle pour nous placer. Jeanne m'encourage d'un signe de main, elle est dans la série suivante. Le speaker annonce mon nom et un bonheur égocentrique m'envahit quand j'entends la foule hurler. Je souris et place mes pieds dans les blocs.

Je deplie mes jambes. Le départ est donné. Et réussi pour une fois. Ces championnats ont un goût différent des derniers. Comme si j'avais quelque chose à prouver. Je ne suis plus là petite nouvelle un peu perdue dans le monde pro. Les gens connaissent mon nom et j'ai une pression. Est-elle capable de durer plus d'un tour et de revenir au même niveau après sa blessure?
"-Ne reviens pas au même niveau m'avait dit Antoine. Reviens meilleure."

Il est marrant lui. Je secoue ma tête. En pleine course. Je suis débile non? Heureusement que ce ne sont que les qualifications. Et que je passe.

***

Finale. Je suis détentrice du titre et du record. J'ai gagné toutes me séries et la demi-finale. Mais rien de tout cela ne compte si la médaille ne suit pas. L'objectif est le high level. Tout ce qui est avant n'est que le chemin pour y arriver. Ça aussi c'est d'Antoine. Je me demande s'il a vraiment vécu ça lui. Parceque si c'est la cas il sait que c'est plus facile à dire qu'à faire.

Le coup de feu vient de retentir. Je m'elance. Les souvenirs de ma chute le viennent en tête et la peur me prend. Et si je tombe encore? On s'en fout. Par contre si tu perds ça ne sera que de ta faute, mas de ta blessure.
J'accélère mais suis confrontée au mur de la douleur. Je tente de conserver ma vitesse.
Sers toi de tes bras.
J'ai travaillé mes bras pour pallier à la faiblesse de ma jambe. Mais je suis rétablie maintenant. La peur me reprend. Mais cette fois c'est la peur de perdre pour rien et de décevoir.

Je penche le buste. J'ai gagné. De peu. Pas de nouveau record, cette course n'était pas la plus belle. Mais une médaille reste une médaille. Je ferai mieux sur le 200.

Du Bout des doigtsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant