Les entraînements sont de plus en plus durs. Je fais un gros travail de fond, et tire des charges plus lourdes sur les petites distances. Khalife m'a certifié que c'était nécessaire pour augmenter ma puissance. Et je le crois, c'est une évidence de toute façon. J'ai arrêté de remettre en cause ses paroles depuis longtemps. En plus, il ne m'a pas menti, j'ai bien perdu tout ma masse graisseuse depuis que je m'entraîne avec lui, ou plutôt, depuis qu'il m'entraîne. Je me suis musclée, aussi, mes muscles se sont développés, mais sans devenir énormes non plus. Djibril s'entraîne toujours.
J'essaie de prendre exemple sur lui le plus possible, j'admire sa technique. Je suis loin d'être de son niveau. Un jour, après une course, Khalife me prend à part.
"-Qu'est ce qu'il t'arrive exactement ? me dit-il
-Euh bah rien pourquoi ?
-Pourquoi? Petite, je suis ton coach, pas ta pote, alors tu ne me mens pas.
-Mais, il n'y a rien. (Et c'est vrai, je ne vois pas de quoi il parle).
-Tu ne cours plus comme avant.
-C'est normal, j'ai changé depuis que je suis avec vous.
-Non. Je te pousse à développer tes capacités, à aller chercher chaque possibilité unique que tu possèdes, à enrayer tes défauts. Je ne change pas ta manière de courir.
-Mais, je croyais que ce que je faisais était bon.
-Tu te trompes. Tu copie Djibril, c'est moi qui l'ai formé ce gamin, je sais comment il court. Vous n'êtes pas pareils, vous n'avez pas la même morphologie ni le même physique. Tu ne peux pas courir de la même façon que lui. Ça te déséquilibre, te perturbe et risque de te faire mal. Tout athlète court différemment. Ce qui convient à l'un est un immense désavantage pour l'autre. Tu comprends ça?
-Oui, oui. Je pensais bien faire, désolée.
-Regarde Usain Bolt. Tu vois comment il court? Bien, maintenant fais pareil avec Tyson Gay. C'est différent n'est-ce pas? Il n'ont ni le même gabarit, ni la même vision de la course. Il courent différemment mais sont excellents tous deux. Tyson Gay est porté par son pays. Usain Bolt est porté par le monde entier. Bien-sûr, il y a des exceptions. Tu sais pourquoi? Parcequ'il est déjà multi-champion et qu'il détient tous les records. Il a même battu son propre record. Les gens savent qu'il est au dessus, mais que tout peut arriver. Il est le chouchou de ce monde. Il assure la course ET le spectacle. Son geste n'est pas dû au hasard. C'est un personnage public. Et pourtant, qui l'aurait cru? Avec son mètre 90. Il est différent, il a son propre style de course, tout comme dans les autres sports. Rentre bien ça dans ta tête.
-J'ai compris."
Je m'apprête à partir, encore surprise qu'il sache si bien lire en moi. Ses paroles m'ont redonné confiance et espoir. Alors que je suis en train de partir, il m'appelle.
"N'oublie jamais, Marieme, n'imite rien ni personne. Un lion qui copie un lion devient un singe."
Je suis rentrée chez moi, j'ai chercher la citation, elle est de Victor Hugo.C'est aujourd'hui la fin du ramadan, l'Aïd el Fitr. Ici, on appelle ça la korité. Nous ne sommes pas tous musulmans dans la famille, mais les voisins, si. Je me suis levée tôt, pour aider à préparer la nourriture. Nous avons fait du jus de bissape et le poulet. J'ai disposé ça joliment. Les poivrons et tomates coupés font de jolies formes, comme des fleurs. Je rajoute de la salade, de la sauce. Dans un autre plat, je mets le poulet et mes frites. C'est une fournée de convivialité. Le poulet et mes frites ne sont pas mangés si souvent que ça ici, car on mange plus des plats à base de riz. Je pars les distribués avec ma tante aux voisins et aux habitants de toute la rue. Ils nous offrent des plats en retour, bien qu'aucun de nous n'ait jeûné.
Ils nous sourient, le quartier est en fête. Je revêts des vêtements de fête traditionnels qui ont été faits sur mesure. Les broderies sont fines et délicates, cousues à la main. Elles forment des motifs compliqués et harmonieux. J'ai pris les mesures il y a 2semaines et une amie de ma grand-mère qui est couturière me l'a fait. Tout le monde m'imite. Nous partons rendre visite à de la famille. Je ne les ai jamais vus, je ne les connais pas, mais c'est "l'occasion". On passe d'abord chez mon arrière grand-père. Sa maison est remplie des cousins, d'oncles et de tantes inconnus de mes yeux. Il paraît que lui m'a vue nourrisson. Il me questionne rapidement, mais vite, la conversation s'oriente vers les autres membres de la famille. Je n'arrive à capter que quelques mots en wolof. Nous allons ensuite chez d'autres amis de ma grand-mère, des amis d'enfance et autres. À chaque fois, mon oncle laisse de l'argent. Nous rentrons en début de soirée. Tous les habitants sont heureux. Les jeunes filles sont maquillées, beaucoup, je dois dire. Elles ont fait leurs sourcils, mis du rouge sur leurs lèvres et du blush sur leur peau ébène. Elles restent très belles. Beaucoup ressemblent à des mannequins avec leurs corps sveltes et très grands.
Des marabouts passent dans les maisons. Ce ne sont pas des sorciers. Ce sont des figures religieuses qui enseignent le Coran à des enfants appelés " talibés". Ces enfants vivent de mendicité et traînent dans les rues. Cela a pour but de vivre avec seulement le nécessaire et de comprendre comment vivent les "miskines", c'est à dire, les nécessiteux. Les enfants sont confiés par leurs parents aux marabouts en échange de leur éducation religieuse. Il y a uniquement des garçons. L'argent récolté par les enfants revient aux marabouts. En ce jour, ils passent dans les maisons récolter de l'argent et bénir votre maison. Les enfants aussi, passent de portes en portes et reçoivent de l'argent de tout les habitants. Je parle de tous les enfants, pas seulement des talibés. Avec ça, ils peuvent s'offrir un cadeau. C'est l'équivalent de Noël, en fait. C'est la coutume au Sénégal, mais dans d'autres pays, les enfants demandent un cadeau à leurs parents, sans passer dans les maisons. Bref, cette fête est conviviale, personne n'est à l'écart. La plupart de le population sénégalaise est musulmane, mais il y a aussi des catholiques, des protestants et quelques juifs. Je suis tout de même émerveillée par tant de générosité et de familiarité.
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Du Bout des doigts
General FictionMarieme est une jeune ado qui ne vit que pour le sprint, pourtant, sa mère l'oblige à vivre pendant 3mois au Sénégal, son pays natal, pour qu'elle apprenne ce qu'est la vraie vie....