Chapitre 28 : Come back

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Tout mon corps est courbaturé. Mes muscles sont encore tendus par l'effort que je viens de fournir et l'acide lactique les tétanise. Je rentre dans le vestiaire pour me changer. Je laisse tomber mes pointes et mes pieds respirent enfin. Je passe mon survêtement et sors du complexe sportif. Je prendrai ma douche à l'hôtel.

Plus qu'un jour avant la course. Mes deuxièmes championnats du monde. Après tout ce temps, je dois dire que je suis impatiente, mais anxieuse aussi. C'est le grand retour sur les compétitions internationales après ma blessure au Meeting de Paris. Simple entorse de la cheville. Je me demande encore comment j'ai fait pour me blesser sur du plat. Ah oui, c'est vrai, entraînée par le poids que je traînais pour les départs, j'ai glissé sur le bord mouillé de la piste. Il n'y a pas plus stupide comme blessure.

Heureusement, je n'en ai eu que pour un mois. Assez pour pouvoir être qualifiée pour cette compétition. Enfin, "heureusement", c'est vite dit. Un mois de travail en moins, ça veut dire un mois en plus pour les adversaires. Au lieu de travailler mes faiblesses, notamment la conservation de ma vitesse, j'ai dû travailler le retard de ma jambe à la salle de musculation.
L'avantage quand on est en équipe de France c'est que les kinésithérapeutes les plus doués s'occupent de vous. Et c'est mon cas. Les bains froids et chauds ont accélèré mon rétablissement, mais je sais que ça ne sera pas facile. En témoigne mon état de fatigue, une semaine après la réelle reprise.

Vais-je réussir à être à la hauteur demain? Les gens ont dans l'idée qu'une fois le haut niveau atteint, nous sommes intouchables. Comme pour Usain Bolt ou Teddy Riner. C'est faux évidemment. Si on cesse de travailler, de s'entraîner, de se remettre en question et de tenter de s'améliorer alors forcément, on va se faire rattraper.

Être sur la plus haute marche du podium ne signifie pas l'immunité. C'est une pression supplémentaire. On ne doit pas décevoir. Le public attend beaucoup de nous, encore plus que des autres. Il ne faut pas baisser les bras, mais prouver que la première fois n'était pas un coup de chance. Et pour ça, nous n'avons pas d'autre choix que de travailler encore plus. Et encore, encore plus si l'on sort d'une blessure. Ce qui est mon cas et ce qui ne cesse de m'inquiéter.

Une autre chose qui m'inquiète actuellement c'est l'absence de mon coach. Que peut-il bien faire? Ça fait 10 minutes que je l'attends dehors, sous la pluie, au risque de tomber malade, pour ne rien arranger. Je décide donc de rentrer, ne me demandez pas pourquoi je ne l'ai pas fait avant.

J'effectue le chemin en sens inverse et l'aperçois sous l'abri des sportifs, le regard dans le vide. Je souffle. J'aurais pu l'attendre longtemps. Il a l'air perdu dans ses pensées, mais je décide d'aller le voir, pour le plus grand bonheur de mes jambes qui me font sentir leur fatigue.

Je m'approche doucement en essayant de ne pas lui faire peur.
"-Antoine."
Oui, c'est le même depuis mon entrée à l'INSEP, trois ans plus tôt. Il se tourne vers moi, un petit sourire aux lèvres.

"-Ça va? demandé-je.
-Oui, j'étais dans mes souvenirs.
-Ah, ceux qui datent de l'époque où tu courais encore?
-Insinierais-tu que je suis vieux ?
-Non, mais tu as compris, quoi.
-Pour te répondre, je pensais à la première fois où je t'ai vue courir ici.

Je lève un sourcil, intriguée.
-Ah. J'étais ridicule non?
-Non. Ta technique n'était pas parfaite et tu courais comme quelqu'un qui n'en fait qu'à sa tête, de façon désordonnée, mais ton talent était flagrant.
-C'est à dire?
-Tes foulées étaient régulières, bien qu'un peu petites, tes bras étaient dans la cadence même s'ils n'allaient pas chercher au bout et ta respiration elle aussi était calée. Tu avais le bon rythme. Mais surtout, tu faisais ça avec aisance et passion. Ça se voyait que tu avais travaillé pour ça et que ça te faisait vibrer.

-C'est toujours le cas, souris-je.
-Tu étais bien dans cette course, un 80 mètres précisément. Les autres étaient rapides, mais moins à l'aise. Bon, vous étiez toutes moches avec vos visages tendues et vos veines qui ressortaient, mais c'était un bon spectacle.
-Je suppose que je dois te remercier.
-Haha. Je suis sérieux. Tu as fait de très gros progrès, même si tout n'est pas parfait. Il y a des gens que l'on remarque directement. Tu en fais partie. Ton talent et tes facilités innés étaient perceptibles. Comme je dis souvent, t'étais une graine, j'ai ajouté ce qu'il fallait pour que tu deviennes une plante.
-Merci Antoine, vraiment. Merci pour tout.
-Derien championne.
-On peut rentrer maintenant? Je commence à avoir un petit peu froid.
-J'arrive."

Il ramasse son sac et nous nous mettons en route. Cet entraînement a eu lieu exceptionnellement en dehors des locaux de l'INSEP, c'est pour ça que j'ai besoin qu'il me ramène.

Ses propos m'ont flattée, je ne peux pas le nier. Ça fait forcément extrêmement plaisir lorsque l'on vous dit que vous êtes fait pour ce que vous aimez, que vous êtes doués et qu'on vous complimente. Encore plus quand c'est un professionnel qui vous le dit et que cette personne compte pour vous. C'est le cas pour moi. Ça me redonne confiance, surtout vu mon état de stress. Je décide de lui poser une question qui me taraude l'esprit depuis quelques temps.

Du Bout des doigtsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant