Chapitre 17 : une vraie passion

137 14 3
                                    

Je repars en France dans 10 jours. Le retour imminent se fait sentir. On multiplie les visites, les achats et les sorties. À chaque fois que l'on va quelque part, ma famille précise que je suis une sprinteuse de talent. Ce qui, bien évidemment, me fait rougir.  Pourtant, je  n'ai pas tout gagné. Je me souviens de cette dernière course, contre une perle du 200m. J'ai eu beau tirer mes muscles et m'allonger, elle a fini avant moi. Les juges ont déterminé ça à la photo-finish. Malgré cela, je suis contente, car cette discipline n'est pas ma spécialité. Et pourtant, j'ai tenu bon. Khalife m'a félicitée. Djibril, lui, a gagné toutes ses courses. Un recruteur est venu me voir, mais je lui ai dit que je n' habitais pas là et que j'étais déjà à l'INSEP.

Mon départ se rapproche de plus en plus et ça se fait sentir à l'entraînement. On fait des goûters, on met de la musique...
Nan, j'espère que vous ne m'avez pas crue!! Ça ressemble plutôt à un entraînement pour l'armée en fait.  Khalife me fait faire un gros travail de fond. Nous avons bossé les départs pendant une bonne partie de chaque entraînement. Je suis partie trop tôt, trop tard, pile à temps, j'ai oublié de partir... J'ai appris à gérer le stress et à savoir quand et comment précisément je dois partir. Après, tout peut arriver en compétition.

Mes muscles se sont encore développés. Je suis tracée et sans un gramme de graisse. Quel changement ! Khalife a un objectif pour moi : les Jeux Olympiques Juniors! Il vise haut.  Avant de rentrer chez moi, il me prend à part et me murmure quelque chose à l'oreille. Je souris et acquiesce.

Quand je rentre chez moi, je sens l'odeur du Domoda à la viande. Oui, en Afrique, il y a d'autres plats que le Mafé! Ces deux plats se ressemblent un peu, avec de la tomate et de l'arachide, mais la sauce est moins pâteuse dans le premier et il y a beaucoup plus de citron. Les indispensables légumes et la viande sont présents aussi! Beaucoup de gens ne l'apprécient pas des masses, mais moi je crois que je le préfère au Yassa poulet, tiep bou yap et tiep bou dien, supukanj (soupe kandia)... Bref, je déguste. C'est mon petit plaisir, parceque les autres jours je me fais un repas plus équilibré et adapté à ma condition de sportive. C'est très présomptueux ce que je viens de dire. Enfin, bon.
On met la musique après le repas. Toutes les sénégalaises savent danser ! Sans exception. Enfin si, moi, mais je le suis à moitié. En vérité, je sais danser mais je n'aime pas le faire devant les gens. Toute ma famille se met à danser sur du Youssou N'dour, chanteur fard du pays! Je vous écrit en phonétique ce qu'ils répètent en dansant : Diakhagoun. Dur de l'écrire en fait!

Il se met à pleuvoir peu après. Nous nous empressons de sortir les gros seaux pour faire le plein. Alors que je porte un énième seau dehors, je reste clouée sur place. Une dizaine de femmes en pagne est dehors, en train de prendre une sorte de douche en chantant. C'est une sorte d'habitude. L'eau de pluie ferait du bien. Je décide de les rejoindre, sans pour autant me mettre en pagne. Ça me fait du bien. Je souris bêtement, alors que les gouttes s'écrasent sur mon front et coulent sur mon corps. Il fait chaud et la pluie est la bien venue. Elle n'est pas froide ni désagréable et pour une fois, on ne me dit pas que je risque de prendre froid. Je me sens légère. Je ne pense plus au départ, ni aux compétitions.

Après cette petite pause, je prends mon ordinateur pour me faire une séance visionnage. Je regarde les grandes courses qui ont marqué l'histoire. Je mets des ralentis, afin de voir les corps saillants surgir des starts (cette formulation est très bizarre nan?), je visionne encore et encore les départs. Sur des petits sites, je trouve des vidéos des courses des espoirs. Il y a du niveau. Je me promets alors de ne jamais jeter l'éponge par paresse, par peur ou par manque de confiance. Je prends une feuille et je me mets à écrire. Je me mets à écrire pourquoi j'aime ce sport, pourquoi il me fait vibrer. J'écris ce que je ressens quand je me place sur les starts et que j'entends les cris du public. Je note le stress, mais la légèreté quand on est parti. J'écris toutes ces heures de travail, pour en arriver là où je suis aujourd'hui. Je note ces 12 secondes qui maintenant sont passées à 11 et qui paraissent 1heure quand on court. J'inscris mon exaltation, mon sentiment de bien-être quand je passe la ligne. Cette fierté que je ressens quand je monte sur le podium et que l'on me passe la médaille. Je précise les moments de fatigue et de souffrance durant les entraînements, pour ne pas oublier pourquoi je me bats. J'aime ce sport car il me faire tenir. Car un seul jour passé sans que je ne le pratique est un jour triste, inutile. Je me souviens en mots de la motivation que je ressens, pour qu'en jour de coup de blues, je me rappelle de pourquoi je cours. Je n'oublie pas mes désillusions et ma tristesse quand le deuxième BOUM a retenti, ou lorsque je perds. Des images assaillent ma tête, des souvenirs, mais aussi des espoirs. Je note des phrases que m'a dites Khalife, les dates de compétitions, mes résultats, les mots de Djibril. J'écris mes attentes d'or autour du coup. Ce sport qui reste méconnu et qui est associé au nom d'Usain Bolt.

J'espère qu'un jour il y aura autant de spectateurs devant un meeting d'athlétisme que devant le football. J'espère qu'un jour mon nom rentrera dans les annales. Je sais que pour ça, je dois tout donner.  J'écris aussi deux promesses. La première que je fais à moi-même. Celle de restée digne, humble et fair-play dans la défaite comme dans la victoire. Et en rouge, je note celle que je partage avec Khalife, celle qu'il m'a chuchotée à l'oreille.


Du Bout des doigtsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant