Les Âmes maudites, livre I (Terminée)

Chapitre 41: Alicia.

Je me souviens de m'être évanouie, je ne me sentais pas bien. Lorsque j'ouvre les yeux, je ne suis plus dans la forêt. Je suis seule, dans un endroit inconnu. Je me lève et regarde autour de moi. Blanc. Il n'y a que du blanc à perte de vue. Le sol est blanc et il n'y a pas de mur pour délimiter une pièce; sur le sol, il y a une sorte de fumée, également blanche. Les battements de mon coeur accélèrent, je perçois mon sang circuler dans mes tempes. Je suis peut-être morte, j'ai déjà ressentis cela. Je décide de marcher, je ne sais pas moi même ce que je cherche. Puis au bout d'un moment, je vois quelque chose. J'ai l'impression que c'est un corps​, caché par la fumée blanche. Je m'approche, et découvre avec horreur Jade. Elle est pale, les yeux grands ouverts, pétrifiée. Du sang s'écoule de son ventre en grande quantité. Je ne sais pas quoi faire, j'ai envie de hurler, je sais qu'elle est morte, je n'ai même pas besoin de prendre son pouls. 

-Non, non...Ne m'abandonne pas, je t'en supplie... Non!

Je hurle à pleins poumons, je n'arrive plus à respirer. Pourquoi est-elle morte? Qu'est-ce que je fais là? Suis-je morte? Où sont les autres? Allons nous tous mourir? Tant de questions sans réponse. Je pleure encore et encore, je n'arrive plus à m'arrêter. J'ai perdu toute notion du temps, je n'ai aucune idée de la durée que j'ai passé à pleurer à côté d'elle. Son sang commence à sécher, j'aimerais la nettoyer pour qu'elle soit plus belle. Je créé de l'eau et la passe sur sa blessure. Elle est belle. Pale, mais belle. Ses longs cheveux roux ondulent sur le sol blanc. Je lui ferme les yeux, on dirait presque qu'elle dort. J'essaie de me calmer, de reprendre mon souffle. Et si tout cela était faux? Et si ce n'était que des hallucinations? Je ne sais plus, cela parait tellement réel, mais Jade ne peut pas être morte, et cet endroit ne peut pas exister. Je ferme les yeux pour réfléchir.

Lorsque je les réouvre, je ne suis plus au même endroit. Le sol blanc est devenu noir, la fumée blanche est devenue noire. J'ai peur de voir un autre de mes proches, mort. Je n'ai jamais eu peur de l'obscurité, mais là, je ne me sens vraiment pas bien. Puis d'un coup, je me sens tomber. Je suis en chute libre, dans les airs. Je hurle; cela ne change rien. Je me sens ralentir, je suis arrêtée.

Je suis maintenant dans le désert. J'en suis convaincu, tout cela n'est pas réel. Une sensation de soif me brûle la gorge. J'avale difficilement ma salive. Je veux faire un verre de glace pour boire, je n'y arrive pas. J'essaie encore et encore, en vain. Des larmes de colère et de découragement coulent le long de mes joues. Je tape du pied sur le sol comme une enfant, je n'en peux plus. Le soleil brûle ma peau, je n'arrive même plus à marcher dans le sable brûlant. Au bout d'un moment, je crois voir de l'eau, une oasis. Un sourire béat vient se former sur mes lèvres. Je marche de plus en plus vite, seul l'espoir me donne des forces. J'y suis arrivée, je m'accroupis et bois de longues gorgées d'eau. Cette sensation de fraicheur me fait du bien. A peine ai-je eu le temps de souffler que je repars dans un autre endroit.

Je suis sur la banquise, j'en était presque sûre. Après le blanc, le noir, après le désert, la banquise; c'est une suite logique. Je suis en short et t-shirt manche courte. J'ai froid, extrêmement froid. Mes dents claquent, j'essaie de me réchauffer avec mes mains, même si elles sont elles aussi gelées. Le vent glacé me paralyse mon corps tout entier. Je ne sens plus mes mains, ni mes jambes. L'air me gèle les poumons. Je ferme les yeux, je ne suis même plus capable de les ouvrir, cela me fait trop mal. Je me met en boule pour essayer de me réchauffer, cela ne marche pas. Le vent devient de plus en plus violent, mes cheveux me fouettent les joues.

Le vent a cessé, je n'ai plus froid. J'ouvre les yeux et me relève. Je suis dans une boîte en verre, suspendu dans les airs. Sur le sol, au milieu, il y a un tuyau qui descend jusqu'à la terre. Je ne peux pas passer par là, il est plus petit que la paume de ma main. Je m'assois, je vais attendre d'être transportée ailleurs. Le prochain endroit devrait être sous la terre, puisque je suis au dessus en ce moment.

Je me trompais, je suis toujours dans ma boîte transparente. Des insectes arrivent vers moi, ils passent par le tuyau. Je hurle, j'ai peur des petites bêtes. Lorsque j'étais enfant, ma mère me répétait tout le temps "Ce n'est pas la petite bête qui va manger la grosse". Une fois, j'en ai eu marre et je lui ai crié qu'elle avait une araignée velue dans les cheveux, elle s'est mise à hurler comme une folle. Depuis, elle ne m'a plus jamais embêté avec ça. Je repense à cette anecdote et je laisse échapper un petit rire; mais quand je vois un énorme cafard s'approcher de moi, je me précipite du côté opposé en criant. La pièce est remplie d'insectes, des araignées, des fourmies rouges, des blattes... Je suis en train de hurler, je pleure tellement je suis à bout. J'essaie de me protéger la tête. Puis lorsque je n'en pouvais vraiment plus, je change de décor.

Je suis dans une grande arène, sans aucune issue. Elle est ronde et vide. Je ne comprends pas, pourquoi cet endroit? Des grilles s'ouvrent, puis je comprends. Après les petites bêtes, les grands animaux. Trois lions majestueux se dirigent vers moi. Ils rugissent et ont l'air affamés, ils me montrent leurs crocs, la gueule ouverte. Ils sont impressionnants, beaucoup plus grands que moi et très imposants. Ils marchent lentement, autour de moi. Je ne bouge pas, j'essaie de contenir mon calme.

J'ai toujours su m'y prendre avec les animaux, je les calme, ils m'écoutent. Je regarde l'un d'eux fixement dans les yeux, en faisant bien attention de ne pas montrer que je veux le dominer. Je tends ma main vers lui, il me regarde sans aucune réaction, il a cessé de tourner et ne rugit plus. Je m'arrête, j'espère qu'il va comprendre que je ne lui veut pas de mal. Ils sont affamés, mais je pense qu'ils peuvent prendre sur eux s'ils me font confiance. Le lion qui est devant moi s'avance, lentement, il se rapproche de moi. Il s'arrête à cinq centimètres de ma main. Mon souffle s'accélère, mais je vois dans ses yeux qu'il ne me veut pas de mal. Il pose le bout de son nez sur ma main et ferme ses yeux. Un sourire immense se forme sur mon visage. Je me retourne pour voir la réaction des deux autres lions, ils se sont couchés et observent la scène avec un grand intérêt. Il me lèche la joue et je tombe à la renverse, je rigole tellement que j'en ai les larmes aux yeux. Puis c'est le trou noir.

J'ai mal à la tête, je ne suis plus avec les lions. Il me semble que je suis revenue dans la forêt, à Boa Vista.

-Alicia? Tu m'entends?

J'ouvre les yeux et vois Justin, il parait apeuré.

-Qu'est ce qu'il y a? le questionnai-je.

-Les fruits que tu as mangé ce matin, les rosleiis, ont eu des effets secondaires sur toi. Rose et les autres sont partis essayer de trouver une plante qui guérit, elles ne sont pas encore revenues. Le fruit permet normalement de rendre le corps​ sain, sauf que sur toi, cela a créé des hallucinations. Emelynne nous a dit que c'était très rare, ça n'arrive même pas à une personne sur mille. Je suis vraiment désolé, c'est moi qui ai ramené les fruits.

-Je ne t'en veux absolument pas, répondis-je la voix pâteuse.

-C'était très bizarre de te voir dans cet état, me confia-t-il.

-Qu'est ce que j'ai fait? lui demandai-je, en pensant à ce qu'il a pût entendre ou voir.

-On voyais à peu près ce que tu faisais. Au début, tu hurlais le prénom de Jade, ensuite, tu avais très chaud, puis très froid, et à la fin, tu tendais ta main en avant comme si tu attendais quelque chose. Puis après, tu t'es mise à rigoler et tu es revenue à toi.

Je me sens rougir, j'ai vraiment dut passer pour une folle.

-On s'est vraiment inquiété, tu veux me parler de ce que tu as vu?

Je hoche la tête, je commence à lui raconter ce que j'ai vécu, tout en marchant pour retrouver les autres. J'ai vraiment du mal à croire que tout ça était faux, cela paraissait tellement réel.