Chapitre VI: Le dévastateur dévasté (Partie 5)

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   La nuit est enfin tombée, je commence par repérer la sentinelle de notre partie du campement. Je le vois, ça y est, ce jeune garde innocent. Tant pis, je suis comme en croisade, les pertes ne sont que subsidiaires devant l'importance de ma quête. Je m'approche doucement dans son dos, d'abord en posture normale, puis, dès que je pénètre en la forêt, accroupi, pour limiter les bruits que je pourrais produire. Je reste à une dizaine de mètres de lui, et j'attends. Le couvre-feu est sonné. Enfin. Je reste tapi parmi les buissons, attendant que tous rentrent en leurs tentes. Quand le moment me paraît enfin opportun, avant qu'une ronde ne s'amorce, je m'approche un peu plus, tout doucement, mais inexorablement, encore et toujours. Une appréhension m'étreint, à mon plus grand étonnement. Peut-être ai-je tort et ne dois-je tuer que les principaux protagonistes ? Non. Ce ne peut être, je dois refermer le cycle là où il s'est initié. Mais je ne peux tuer un agneau innocent de notre grand pâtre. J'attrape alors une pierre, de nouveau, et l'assomme avec. Je sors mon couteau. Je ne sais toujours que faire. J'approche ma lame de sa gorge, mais je ne peux me résoudre à finalement l'appuyer contre sa carotide. Je suis un homme de bien, je ne peux faire ça. Je le ligote alors et le bâillonne pour être bien certain que notre sortie du camp ne sera pas entravée.

   Je retourne au camp, telle une ombre, sans un bruit. Sur le retour, un bruissement de feuilles me fait sursauter. Je n'ai pas le droit à l'erreur. Foulque est fourbe et rusé. Il ne tardera pas à se rendre compte qu'il est le prochain sur la liste de quelqu'un. Il faut absolument que tout se fasse ce soir même. Que tout se termine, et qu'enfin je puisse retourner à ma vie. Je file alors vers ma prochaine destination. Étrange, une chandelle brille à l'intérieur de sa tente, dont je peux discerner la lueur vacillante à-travers la toile. Je décide donc de l'appeler en un murmure. Quand il passe enfin la tête à travers le rabat, je lui intime le silence d'un geste, et lui fait comprendre qu'il est impératif qu'il voit quelque chose. Je ne murmure qu'un seul mot, dans cet échange tacite: Roland. Il accepte enfin de me suivre et me le signifie d'un hochement de tête. Je l'entraîne alors dans la forêt, suivant le sentier principal, avant de m'arrêter à l'endroit où nous l'avions quitté quand nous avions traqué notre proie. Je lui explique alors à haute voix ce que je dépeins comme une macabre découverte, m'ayant heurté au plus haut point, et ayant justifié que je n'ai pas été en mesure de prendre part aux combats ces derniers jours. Un corps mutilé, lui dépeins-je. C'est à ce moment qu'il me saisit au col, me reprochant longuement de ne lui en avoir pas fait part et m'accablant de la disparition inexpliquée de Pépin. Je dois me retenir pour ne pas esquisser un sourire. Si seulement il savait. J'entends de nouveau un bruissement de feuilles. Mais cette fois-ci, par chance, je parviens à retenir mon sursaut. Finalement, il m'intime l'ordre de le conduire à ma découverte. Parfait. Cela signifie qu'il ne se méfie pas. Tout se met en place, les dernières pièces du puzzle s'emboitent parfaitement. Je m'enfonce alors dans les bois, sachant pertinemment qu'il me suit bel et bien.

   Nous faisons enfin irruption dans ce lieu, minuscule clairière. Ce lieu qui m'a tant hanté. Ce lieu qui marque la fin de cette histoire. Ce lieu où finalement le pardon me sera offert. Je lui pointe un bosquet, jouant à merveille l'homme choqué, n'osant revoir ce qu'il a vu. Il me tourne enfin le dos, mais en prononçant cette phrase, tandis que je me penche pour ramasser une pierre: "Mais que diable es-tu venu faire ici ?" Sans vraiment y prêter attention, je me relève, mon outil contondant à la main. Je m'approche de lui, mes sens ne se concentrent plus que sur ma main tenant la pierre et sur sa tête, cible de choix. Je suis sur le point d'abattre mon bras quand il est saisi à la volée, tout comme l'autre d'ailleurs. Il se retourne alors, un mélange de haine et de satisfaction sadique habitant son regard. Je comprends que je suis tombé dans un piège. Je comprends que tout ce que j'avais cru comprendre n'était que chimère, pure folie, que nul message ne m'a été adressé...à moins que... oui, à moins qu'il ne s'agisse d'un test. L'ultime test. Le plus difficile de tous. Je me débats alors, la rage envahissant mon cœur de sa terrible puissance mais rien n'y fait, le seul effet visible est le mouvement de recul de ma cible. Je continue de déployer toutes mes forces, de bander tous mes muscles, je vais même jusqu'à tenter de mordre les mains qui me retiennent fermement. Le pardon est si proche. Je perçois un dernier regard de dégoût de la part de Foulque. Je me débats inutilement, encore et toujours, avant que l'acier ne morde ma pomme d'Adam, m'ôtant tout souffle de vie.


Bataille [Version "mobile"]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant