Chapitre VI: Le dévastateur dévasté (Partie 4)

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   Les premiers rayons de soleil s'immiscent dans ma tente, et me caressant délicatement, me réveillent. Je suis tout habillé dans mon couchage tacheté de sang en un endroit. Je remarque alors mon couteau que j'avais négligé d'essuyer. Mais quel imbécile! Je m'empresse de tout masquer, retournant le tissu recouvrant mon lit de paille, et nettoyant précautionneusement mon couteau. Ensuite, je fais de mon mieux pour me grimer en un malade incapable de se battre. Pas question que je ne meure avant d'avoir achevé ma sainte mission. Car en cette radieuse matinée, une nouvelle illumination éclaire mon esprit: ce n'est pas un hasard si j'ai remarqué la sentinelle hier soir. C'est un signe, une aide du destin, ou plutôt de celui qui le régit.

   Le subterfuge a fonctionné, je me suis bien fait porter pâle. Le soir arrive assez rapidement, puisque je passe ma journée à monter dans ma tête ce plan infaillible qui me permettra de poursuivre ma tâche, d'alléger mon fardeau. Je mange avec Pépin et Foulque, comme à mon habitude. Encore un signe: tous deux ont survécu aux rudes combats de la journée. La discussion tourne bien évidemment autour de la récente disparition. Un déserteur, telle en est la conclusion, bien qu'il soit étrange qu'il n'ait pris aucune affaire avec lui. Ce soir Pépin aura droit lui aussi à son châtiment. Je ne pense plus qu'à ça, restant désormais en retrait des discussions. J'en suis désormais persuadé: nulle folie en moi, mais plutôt une clairvoyance nouvelle. Ils se rendent rapidement compte de mon absence, mais ne la mettent que sur le compte de la maladie. Après une bonne heure, je me retire enfin, et rentre en ma tanière. J'aiguise ma lame. Inexorablement, encore et toujours. Quand le couvre-feu tombe enfin, je me faufile au dehors, et fonce vers la tente de Pépin, assez proche de celle de Foulque, ce qui me permet de prendre le temps d'y jeter un coup d'œil au passage. Je n'ose toutefois entrouvrir le rabat, son tour n'est pas encore venu, et il serait comme blasphématoire de le tuer avant son heure, et sans le châtiment adéquat. Or s'il se réveillait, c'est cela qui se produirait.

   J'arrive enfin à cette tente que je cherchais, bien aidé par la pâle lumière lunaire qui me permet de retrouver mes points de repère. Il me cause bien plus de difficultés pour accepter de me suivre, mais quand j'évoque un possible meurtre du disparu, il finit finalement par aller jusqu'à l'infirmerie où je le mène. Les malades dorment tous, probablement drogués par je ne sais quelle mélange d'herboriste. L'odeur est toujours aussi infecte. Je le laisse pénétrer dans la zone en premier. Cette fois-ci, c'est une bouteille que j'utilise pour l'assommer, et c'est à une table que je l'attache. Il s'agit des seules différences: dès qu'il revient à lui, s'initie le rituel, et le vide se refait en moi. J'ai presque l'impression de faire un laborieux travail, sauf que je suis sous les ordres du plus grand des employeurs. Quand la tête roule enfin, j'agrémente la pile des membres amputés et des cadavres, destinée à être incendiée au petit matin, de nouvelles pièces. Puis j'essuie bien mon couteau sur un linge déjà taché de sang, avant de retourner à ma tente, suivant ma voie, inexorablement, encore et toujours.

***

  Le jour se lève, de nouveau. Je me fais porter pâle, de nouveau. J'élabore la phase finale de mon plan, passant la journée à visualiser le déroulement des évènements, de nouveau. Et c'est alors, revoyant le regard flamboyant de l'émissaire qui me délivra le message, que je me rends compte que cette fois, il me faudra réaliser le rituel en un lieu bien particulier. Là où tout a commencé, là où tout finira. J'ai d'abord détruit la part de non-assistance en moi, en tuant Roland, celui qui avait été le plus réticent. J'ai ensuite anéanti la part du viol, en châtiant Pépin, celui qui avait le plus manifesté son plaisir pendant l'acte. Il me reste à décapiter mes mauvaises pensées, en détruisant la part du meurtre, et cela ne pourra se faire qu'en s'attaquant à la tête du "projet", celui qui a tout déclenché. Ainsi, obnubilé par ma mission divine, je passe ma journée à divaguer, trouvant des liens au destin à chaque infime évènement qui survint. Cela me rassure. Je me dis que je suis homme de bien, que je ne suis un monstre, et que seul le pardon m'attend au bout du chemin. Je ne prie même pas pour que Foulque soit épargné. Je sais qu'il le sera. C'est son destin. C'est mon destin. Seule la justice divine pourra le terrasser, seule la justice divine pourra lui accorder la libération du trépas. Toujours plongé dans cette tempête qu'en tout autre j'aurais considéré comme étant de la folie, j'observe le retour des soldats, ayant quitté ma tente, oubliant de préserver ma couverture de malade auprès des quelques infirmiers qui pourraient me surprendre. Qu'importe ? Ce soir, tout sera fini. La boucle sera bouclée. Cette fois-ci, je mange isolé, dans mon logis, jouant finalement à fond mon rôle, ne voulant risquer pour rien au monde que ma future victime n'ait de doute à mon sujet.

Bataille [Version "mobile"]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant