Je ne bougeai plus d'un cil. Tout dans cette situation me semblait instable. J'avais l'impression qu'un seul petit geste, aussi minime soit-il, déciderait de mon sort. J'avais l'impression que je risquais à tout instant de sombrer dans le gouffre que représentait Jeff pour moi.
Parce que bien que j'aimais m'amuser avec lui, bien que je sois si proche de lui, je n'étais pas décidée à lui faire confiance, je n'étais pas décidée à tout lui offrir de ma personne.
Et là, tout-de-suite, je sentais qu'un seul de ses mots, utilisé à bon escient, me ferait craquer, qu'il aurait raison de moi, qu'il aurait gagné. Et étais-je vraiment prête à faire ce saut ?
À lui laisser le pouvoir ? À assumer mes sentiments et à lui montrer qu'à présent il avait un pouvoir fort sur moi. Et non pas seulement un pouvoir physique, mais un pouvoir émotionnel, psychologique.
Étais-je prête à lui montrer que je tenais à lui ? Alors que je n'étais même pas sûre de la sincérité de ses sentiments à mon égard ? Bon sang... j'étais paumée ! J'avais envie de l'entendre parler, envie de tout lui donner, mais j'avais peur... Tellement peur que cela en devenait presque insoutenable.
Aussi, je fis ce qui m'allait si bien, je fis ce qu'hélas je faisais presque toujours : je fuis. D'un coup de hanche, je le poussai puis ouvris la porte pour sortir de sa chambre et rejoindre la mienne. Je me mis même à courir, de peur qu'il me rattrape et me fasse changer d'avis.
J'étais dans un drôle d'état d'esprit. Aucune logique, aucune lucidité ne parvenait à mon cerveau. Seule subsistait cette envie de lui échapper, seule restait cette angoisse profonde que je ne comprenais que trop bien.
J'avais tellement peur qu'il me brise ! J'avais perdu très peu de personnes dans ma vie. En fait, je n'en avais réellement perdu aucune.
Mais une personne m'avait bel et bien abandonnée. Et même si je ne l'avais pas perdue puisque je ne l'avais jamais connue, elle était tout de même partie sans regarder derrière elle, elle avait tout de même décidé de m'oublier.
Oui, ma mère.
On peut penser que ce genre d'évènement ne marque pas, ne touche pas. Et peut être que chez certains, c'est le cas. Mais je n'étais pas de ceux qui acceptent si facilement leur condition. Petite, j'avais toujours cherché à rencontrer ma mère.
Ne comprenant pas pourquoi je devais lui parler au travers d'un foutu ordinateur, ne comprenant pas pourquoi les seules choses que j'attribuais à ma mère étaient des phrases sans amour, des caractères d'imprimerie qui se mélangeaient quand je fermais les yeux.
Et chaque année, quand à l'école les maîtresses nous demandaient de dessiner ou de présenter nos parents, la seule chose que je pouvais faire pour montrer ma mère aux autres c'était photocopier un mail ou dessiner une fausse maman. Parce que c'était exactement ce qu'elle était : une fausse maman.
Quand on était à l'école, quand on était au centre de loisir, quand je lisais, on me disait qu'une maman, c'était quelqu'un qui nous aimait. Avoir une maman, c'était avoir un ange gardien au dessus de notre tête.
Une maman ça devait faire des câlins et la cuisine. Ça devait jouer aux jeux de sociétés et venir me chercher à l'école. Une maman ça devait raconter des histoires et chanter des berceuses avant de dormir.
Une maman devait toujours être présente dans la vie de ses enfants. Mais la mienne n'était pas là. Ma maman à moi, elle m'avait forcée à apprendre à lire plus tôt que la norme parce que c'était le seul moyen de communication qu'elle acceptait. Ma maman à moi, elle ne m'avait révélé son nom que lorsque j'avais six ans. Ma maman à moi, elle ne se souvenait pas toujours de mon anniversaire.
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AVRIL [Édité chez Hachette]
Teen FictionAvril intègre Schooltime, un internat au fin fond du Texas. Elle est nouvelle, timide, et se retrouver isolée de cette façon ne fait que l'impressionner plus encore. Cependant Avril est curieuse et, comprenant que l'internat dissimule un terrible se...