Chapitre 1

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– Avri !

Quelqu'un me poussa fort et ma main, qui tenait mon menton, tomba en même temps que ma tête sur la table, entraînant un choc assourdissant qui retentit dans toute la classe. Des ricanements résonnèrent tout autour de moi tandis que j'ouvrais difficilement les yeux.

Mon professeur d'histoire me fixait d'un air sévère et mécontent :

– Madame Taylor, ce n'est pas parce que vous êtes partie pendant un semestre qu'il faut croire que tout vous est permis. Je vous somme de sortir de cette salle sur le champ !

Je clignai de nouveau les yeux, agacée qu'on ait perturbé mon sommeil et découvris Ellie, l'auteure de mon réveil forcé, à ma gauche qui me lançait un regard désolé.

Je soupirai et me levai, rassemblant péniblement mes affaires puis avançai dans la classe d'un pas traînant.

– J'aimerais bien que vous fassiez preuve d'un peu plus de rapidité, vous gênez le cours.

Je fis comme si je n'avais rien entendu et continuai mon chemin sans accélérer. De toute façon, qu'est-ce que je risquais de pire ? Une heure de colle ? Un jour d'exclusion ? Cela me semblait doux en comparaison des traitements qu'on m'avait servis à Schooltime !

Les élèves me scrutaient avec une curiosité malsaine et des chuchotements malveillants m'enveloppaient alors que je progressai dans la pièce mais cela faisait longtemps que j'étais passée au dessus de tout ça. Arrivée devant la porte, je me tournai vers l'ensemble de la classe, leur adressai un grand sourire et m'exclamai :

– J'espère que le spectacle vous aura diverti ! En opérant une humble révérence.

Puis, avant que les foudres du prof s'abattent sur moi, je claquai la porte et m'en allai en courant. Ce n'était pas la première fois que je faisais le coup, et ce ne serait pas la dernière. Depuis que j'avais repris l'école en France, et cela faisait à présent quatre longs mois, je n'avais pas arrêté de m'endormir en cours. Certes, une mauvaise habitude qui, d'après la psy chez laquelle mon père m'amenait tous les mercredi, était le symptôme d'un début de dépression nerveuse.

Je n'en croyais pas un traitre mot. Pour dire vrai, je ne me sentais pas déprimée mais plutôt vidée de toute énergie. Je n'étais pas triste, je n'étais pas en colère, je ne m'apitoyai pas sur mon sort.

J'étais juste fatiguée, tellement fatiguée que j'avais l'impression d'être incapable d'éprouver la moindre émotion. Et ce, depuis que j'étais sortie de l'aéroport Roissy Charles de Gaulle en août.

Quand j'avais commencé à me comporter comme un zombie, à mon arrivée ici, tout le monde avait cru que c'était parce que j'étais blessée et sous bon nombre de calmants.

C'est d'ailleurs comme ça qu'on avait réussi à la fois à me faire entrer dans l'avion et à la fois à m'en faire sortir. Mais même après ma guérison, même après l'arrêt de tout médicament, ma réactivité n'était pas revenue.

J'étais restée terne et grise, le visage morne et neutre. Plus rien ne semblait me toucher. Et c'était la vérité, au fond de moi, plus rien ne me touchait. J'étais juste... spectatrice de la vie des autres, je ne cherchais plus à agir.

Comme si toutes les actions que j'avais dues accomplir au Texas m'avaient épuisée et qu'aujourd'hui je n'avais plus la force de faire autre chose qu'observer la vie des autres.

Je sortis du lycée l'air de rien puis sautai la grille pour recouvrir ma liberté. Voilà ce que j'étais devenue : une gamine insolente qui n'avait rien de mieux à faire que sécher ses cours. Je ne me reconnaissais plus.

AVRIL [Édité chez Hachette]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant