Chapitre 73

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Non.
Non !
NON !
– NON !
Je cachai ma bouche entre mes mains pour retenir ce petit cri qui s'était échappé de mes lèvres. Malheureusement, c'était trop tard et pleins de têtes curieuses se tournèrent vers moi avec cette même soif de connaissances malsaines dans le regard.

Je me tassai et Jeff, comme s'il lisait dans mes pensées – ou surtout, comme s'il percevait ma gène, ce qui, en soit, ne devait pas être si difficile que ça – serra son bras autour de mes épaules et se mit à rire.

Le rire de Jeffrey Flores était un atout d'envergure : personne ne pouvait y résister, il dégageait un tel magnétisme quand il dévoilait ses dents et qu'il laissait sa gorge vibrer de son timbre rauque que tout le monde se sentait obligé de se détendre.

Aussi, c'est ce qu'il se passa. Les petits badauds sourirent en réponse à cet accès d'hilarité puis ils se tournèrent de nouveau vers l'estrade tandis que Mme Chalenais continuait d'appeler les élèves.

Cependant, le rire de Jeff n'avait pas eu d'effet sur une personne dans la salle : moi. Impossible de me calmer, impossible d'accepter la situation. Dean, le très cher Dean qui avait tenté de me tuer et avait éprouvé du plaisir à me faire souffrir allait jouer mon fiancé ?

Mais c'était quoi ce foutage de gueule ? Oui, Schooltime était un trou paumé grouillant de petits psychopathes, oui j'avais tué un de leurs précieux petits psychopathes, oui ils voulaient ma peau, mais QU'ILS VIENNENT ME PARLER EN FACE !

Ras le bol de toutes ces manigances faites par chemin détourné, ras le bol de me retrouver plongée au cœur de scénari tous plus incongrus les uns des autres. Je ne voulais pas faire semblant d'aimer Dean, même si c'était dans le cadre d'une pièce de théâtre et que c'était loin d'être définitif.

Il était hors de question que je leur fasse ce plaisir : accepter ce genre de traitement ici, c'était comme perdre une bataille, et j'étais décidée... je n'essuierai pas de défaite, pas cette fois.

Aussi, alors que notre professeur expliquait comment se dérouleraient les répétitions, je levai haut ma main pour signifier que j'avais mon mot à dire. Jeff, à côté de moi, me regarda avec de grands yeux ronds lorsqu'il me vit, faisant des gestes à la prof pour qu'elle me remarque.

Il savait – ou de moins il se doutait – que j'allais me plaindre. Et j'avais conscience que ce n'était pas la plus maligne de toutes mes idées.

Mais je ne pouvais pas me résoudre à me laisser faire. Mme Chalenais finit par s'arrêter de parler quand elle vit – enfin – que je levais le bras (depuis cinq interminables minutes).
– Mademoiselle Taylor ? Avez-vous un mot à nous dire ? Demanda-t-elle enfin.

Jubilation.

– En effet, je voulais vous d...
– Avril ?
Une voix, reconnaissable entre toutes, résonna dans le fond de la salle et me coupa. Une voix que j'avais entendue il y a peu et qui avait changé beaucoup de choses. Une voix que je n'étais encore sûre de vouloir entendre... Toutefois je n'avais pas le choix : elle s'était prononcée d'elle même et m'avait appelée sans pudeur.

J'avais donc l'honneur dément d'accueillir ma professeur de sport – et accessoirement ma mère – en cours de français. Mme Chalenais, apparemment pas au courant de cette visite fortuite observa Mme Cralhem avec des yeux interrogateurs. Et moi, je demeurais silencieuse, trop vexée face à cette bonne femme qui venait me chercher sans prendre la peine de s'annoncer.

Bon sang, je n'étais pas un petit chien, qu'on appelait quand on avait besoin de lui puis qu'on laissait dans le jardin le reste du temps ! Merde à la fin, si elle voulait me parler, elle allait devoir attendre que je finisse mon cours. Et elle allait surtout devoir attendre que je vire ce sourire abominablement prétentieux du sale visage de Dean.

AVRIL [Édité chez Hachette]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant