L.A, 21 juin 2000, au soir
Nous roulions depuis bientôt une quinzaine de minutes. La route était chargée si bien que parfois, nous restions bloqués quelques minutes à un carrefour, passifs. C'était toujours comme ça en fin de soirée à Los Angeles. C'était une ville attractive, animée. C'était devenu un spectacle normal pour les californiens. On aurait d'ailleurs été plus étonné du contraire. Cela signifiait sans doute qu'il y avait un cataclysme actif ou que les gens étaient tous victimes d'une épidémie soudaine.
J'y étais habituée et ça ne me dérangeait même pas. Fréquemment en rentrant le soir, je restais bloquée des minutes interminables dans le bus. Mon baladeur me submergeait dans une ambiance intime ; et je rivais alors la tête contre la fenêtre, en regardant la pluie dégouliner sur la vitre verglacée, immobile, comme si le temps s'était figé. Et seules mes pensées semblaient résister.
L'été, je regardais le soleil se coucher entre les buildings. Il se reflétait contre les vitres opaques, saupoudrant la ville de raies roses et dorées. Les couchers de soleils californiens n'avaient rien à envier à quiconque.
Aujourd'hui, c'était un soir d'été. Surement le plus beau, puisque c'était le solstice. Mais je n'étais pas contente d'être là. Je ne prêtais même pas attention au coucher de soleil. Je ne pouvais pas, à vrai dire. Parce qu'il y avait un élément à côté qui me gâchait le paysage, à mon grand désarroi.
Enfin, gâcher était un bien grand mot. Disons qu'il me gênait personnellement.
Voilà que nous étions à nouveau obligés de nous arrêter à un énième carrefour, dans un silence des plus pesant. Nous venions à peine d'entrer en ville. L'heure tournait. Et à chaque fois que le moteur arrêtait de vrombir, le silence se faisait insoutenable. Comme si le bruit nous empêchait de parler.
Pitoyable.Je vis, du coin de l'œil, Tom se tourner vers moi, comme à chaque fois qu'il marquait l'arrêt. J'évitais son regard. Je savais qu'il attendait qu'on reparle de la semaine dernière. Que je lui explique ce qu'avait Nina. Mais je n'en avais pas envie. Je ne voulais plus m'épancher.
Pourtant, lui non plus n'avait pas pris l'initiative de me parler du trajet. Je me doutais qu'il trouvait le sujet délicat à aborder et qu'il ne savait pas comment le mettre sur le tapis, sans être obligé de prendre des pincettes.
Quand ça parlait des jumeaux, c'était toujours délicat. C'était toujours le sujet qui fâchait quand on était petits. Celui qui nous empêchait de nous voir. Les jumeaux. L'obligation que j'avais vis-à-vis d'eux. Alors, il s'était toujours contenté d'être tolérant.
Voilà qu'aujourd'hui, on en était encore là. Il y avait toujours des tensions sur ces vieux sujets de routines. Ces choses qui n'avaient pas changé, malgré tout.
Il brûlait intérieurement. Je le connaissais par cœur. Je savais qu'il prenait sur lui. Qu'il se retenait, par respect sans doute. Mais je savais aussi qu'il ne tiendrait pas bien longtemps.
-« Tu comptes m'ignorer encore longtemps ? »
La question que j'attendais depuis maintenant vingt minutes. Il avait fini par craquer. Le silence ne lui réussissait décidément pas ; alors je ne pus m'empêcher de sourire. Ce qu'il interpréta comme un geste d'insolence.
-« Eh, tu pourrais être sympa ! Je t'accompagne à l'hôpital, je me tape les embouteillages pour toi, alors que je pourrais aller boire un coup tranquillement !
- Qu'est-ce que tu veux Tom ?
- Je veux savoir comment tu te sens. »
Je me retournais vers lui. Il avait remonté ses lunettes de soleil dans ses cheveux, à cause de la luminosité qui venait subitement de baisser. Il me regardait l'air grave, sans se cacher. Il ne plaisantait plus à présent. Il ne plaisantait jamais sur ce sujet.
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À portée de main [en longue réécriture...]
General Fiction« Le temps n'a jamais été notre ennemi. Plutôt notre ami. » Kerrie Heckwood venait de trouver un job de fleuriste en alternance avec ses cours à la faculté. Elle espérait que ce travail l'aiderait à pallier à ses problèmes fréquents, qu'ils soient i...