XXXIV

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L.A, 25 août 2000.

Me voilà donc à l'avant de la petite Toyota rouge d'Erica, les doigts repliés nerveusement sur mes jambes, fixant l'horizon tout en me répétant que je me rapprochais d'une situation que je ne connaissais que trop bien.

Les mains raidies sur le volant, Erica regardait beaucoup trop intensément la route qui s'offrait à elle. Et bien que nous roulions sur le périphérique et qu'elle ne soit concentrée à rien d'autre, sa vitesse dépassait largement la limite autorisée.

Je m'enfonçais un peu plus dans le fond de mon siège, en ne cessant de me demander pourquoi j'avais accepté de me retrouver là. Comme si le moindre petit kilomètre parcouru était une raison supplémentaire de me dissuader de continuer.

Voilà presque deux mois que j'étais sans nouvelle de Tom, sans forcément me soucier de ce qu'il faisait, depuis que nous avions appris à vivre respectivement nos vies de notre côté. Mais voilà que je savais aujourd'hui qu'Erica ne l'avait pas revu depuis un moment, alors qu'il avait avoué le contraire à Edwige, me sentant tiraillée par deux côtés qui continuaient de me lier étroitement à lui.

Et maintenant, on en était là. Tom avait des préoccupations quelque peu tumultueuses, que personne ne soupçonnait et qui l'avaient repoussé à l'hôpital. Il jouait avec sa vie, comme si le fait d'avoir eu une seconde chance, lui donnait le droit de tester ses limites les plus inavouables. D'être invincible, et de s'en vanter.

Sauf qu'à côté, il y avait ces stupides facteurs que les patients n'avaient pas le temps de prendre en compte ; le ressenti des proches, le fait qu'il faille mettre sa vie entre parenthèse pour arriver à procurer du bien-être à celui qui souffrait, comme si cela semblait évident.

Le fait que les barrières de nos vies privées sautaient immédiatement, à partir du moment où l'autre avait une santé vacillante.

De mon côté, c'était plutôt simple de tenir le coup. J'avais appris à être plus détachée à son encontre, bien que ces liens sordides continuaient de nous unir. Sans quoi, je ne serais pas dans cette voiture, à voir le centre-ville de Los Angeles se rapprocher un peu trop rapidement de nous.

Mais j'avais un mauvais pressentiment pour Erica. Sa vie était déjà entre parenthèse depuis l'accident de Tom, cinq ans auparavant. Son mariage avait échoué et elle avait regardé son fils grandir avec un mauvais regard. Elle ne voyait plus rien de la même façon ; ses repères avaient totalement été chamboulés, et ils continuaient encore de bouger, jours après jours, à cause du mode de vie de Tom, devenu totalement imprévisible.

Y survivrait-elle une seconde fois ?

D'ailleurs,cela ne tarda pas à se vérifier. Nous finissions par arriver en face du centre médical Cedars-Sinai, endroit d'où venait visiblement le coup de fil d'Erica.

Elle éteignit le contact, rangea sa clé dans son sac, mais ne bougea pas d'un pouce. Elle restait là, à fixer le logo de son volant, le regard dans le vague, son sac encore ouvert sur ses genoux tremblants. Ses doigts vinrent se raccrocher à celui-ci avec fougue, comme si elle désirait continuer de conduire.

Je l'observais, mal à l'aise. Encore plus lorsqu'elle commença à éclater de rire, sans raison valable.

- « Si tu savais comme je suis contente que tu sois là, actuellement. »

Elle se retourna vers moi, entre deux hoquets rieurs, la bouche tremblante. Ses yeux avaient beau fixer les miens, son regard était confus, montrant à quel point elle était déboussolée.

- « Ah, vraiment ? osai-je.

- Oui. Je sais que toi, tu ne fuiras pas à la première épreuve. »

À portée de main [en longue réécriture...]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant