III

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L.A, mai 2000.

Le lendemain, comme promis, j'avais remplacé Edwige au magasin. Contrairement à ce que l'on pouvait penser, cela ne me dérangeait pas de m'occuper du magasin, seule, puisque je prenais un grand plaisir à être entourée de fleur et de clients satisfaits de mon investissement. Je commençais même à devenir plus à l'aise avec le contact humain.

L'anniversaire des jumeaux approchait, et les clients me laissaient de plus en plus de pourboire à la vue de mon acharnement à la tâche. Je faisais des heures supplémentaires dès que j'en avais l'occasion, ce qui arrangeait grandement Edwige, trop contente de ne pas avoir à s'investir pleinement et préférant planifier son emploi du temps personnel.

Je ne semblais plus m'en inquiéter. Notre amitié semblait se détériorer au fil des jours, si bien que nous devenions de simples collègues de travail, œuvrant dans une entente cordiale. Je n'y prêtais quasiment plus attention, trop concentrée sur mon unique objectif qui était d'obtenir suffisamment d'argent pour Esteban et Nina. Cela me permettait d'occuper mon esprit et m'empêchait de m'attrister sur la perte potentielle d'une autre amie.

A la fac, c'était plus difficile. Je mangeais souvent seule, bien qu'Edwige m'ait déjà proposé de me joindre à elle et ses amis, mainte et maintes fois. Seulement, l'envie d'être de trop et de devenir rapidement invisible ne faisait pas partie de mes objectifs actuels. Alors je refusais, trouvant comme excuse que je devais réviser pour l'examen, ce qui n'arrangeait pas ma situation sociale.

Il était vrai que le seul temps que je trouvais pour réviser était quand ma mère ne venait pas m'importuner et que les enfants étaient couchés, c'est-à-dire aux alentours de minuit.
Mes nuits étaient courtes et mes journées trop longues. Je commençais à me fissurer lentement et le problème était que j'en avais pris pleinement conscience. Mais je ne savais par quelle force, je tenais le coup. Peut-être qu'avoir la tête occupée à une seule activité, permettait de faire le vide dans sa tête et de s'installer dans une bulle un peu plus confortable que ce que nous offrait la réalité.

Mon travail m'aidait beaucoup et mes clients m'appréciaient, ce qui me motivait un peu. D'ailleurs, un client particulier m'épaulait dans mon ascension et semblait un peu trop heureux lorsqu'il essayait de discuter avec moi ; mais j'essayais de l'éviter.

Paul, le vieil homme qui s'était présenté il y a un moment. Il venait acheter des fleurs pour sa femme tous les trois jours, ce qui me paraissait déjà un poil fétichiste. Mais le plus agaçant, restait tout de même l'acharnement du vieil homme à essayer de me faire cracher une conversation. J'essayais alors de répondre par des phrases courtes ou des onomatopées et il finissait toujours par repartir, légèrement frustré, en me promettant qu'il ferait mieux la prochaine fois, pensant sûrement que j'avais un petit côté mystérieux et mélancolique que je refusais de dévoiler au grand jour.

Pourquoi ne l'appréciais-je pas ? Je n'avais pas spécialement de problème avec lui, je le trouvais plutôt agréable, sans compter son incroyable force de persuasion. Mais le problème, c'était moi. Il me faisait penser à un très mauvais souvenir dont je faisais tout pour en oublier l'existence. Malheureusement, le voir rôder dans le magasin ne m'aidait pas à tourner complètement la page et j'avais parfois du mal à le regarder dans les yeux et donc, à engager la conversation avec lui. Mais après tout, il essayait juste de tisser des liens comme il avait dû le faire avec la mère d'Edwige avant moi. C'était un homme bavard et il semblait déstabilise en ayant son paradoxe face à lui.

Et pourtant, ce souvenir demeurait dans mon préconscient et ne semblait pas vouloir se déloger, me faisant passer pour la fille à secret. Un autre secret qui venait s'ajouter à la longue liste déjà confuse, que je n'arrivais pas à vider, puisque personne n'était digne de confiance pour les entendre. Alors je n'avais que pour option d'essayer de les terrer le plus loin possible dans mon esprit. Et malgré mon acharnement à essayer de les oublier, il y avait toujours un événement qui m'en rappelait au moins un. Paul n'en était qu'un exemple parmi d'autre.

À portée de main [en longue réécriture...]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant