Astrid n'aurait jamais pensé revenir un jour, dans cette gare. Celle-là même où elle avait assisté au départ d'Harold. Un douloureux souvenir qu'elle aurait préféré oublier à jamais. Cependant, le temps avait du mal à faire son œuvre et ses sentiments étaient toujours présents. Elle aurait voulu instaurer une barrière avec son cœur. Mais tous ses efforts furent vains. Astrid était une femme forte. Elle ne laissa rien paraître. Juste ses mains, agrippées à la poussette, trahissaient sa nervosité. L'ouvrière baissa son regard vers l'occupant du landau. Un nourrisson y dormait paisiblement. Un petit garçon qui portait tous les traits de son père. Astrid se dérida.
Elle était là en soutien à ses amis. Elle ne pouvait pas s'apitoyer sur elle-même. Anne se trouvait à ses côtés, tenant par la main la petite Éliane. Cette dernière suçait son pouce sans comprendre ce qu'il se passait et le sens de leur présence ici. Une innocence qui touchait Astrid. Elle aimerait pouvoir l'être tout autant si elle le pouvait afin d'oublier les problèmes des adultes.
Sans oublier ce nourrisson dans son landau qui à peine connut son paternel. Elizabeth l'avait mis au monde, il y avait deux mois de cela. Un coup dur pour Jakob qui aurait remué la terre entière afin de pouvoir voir grandir sa progéniture aux côtés de celle qu'il aime.
Cependant, le destin en avait décidé autrement. Il se retrouvait sur le quai de la gare à devoir faire face à sa femme une dernière fois. Il fixait son visage, voulant le graver dans son esprit. Il ne savait pas quand il reviendrait, s'il le faisait. Son costume militaire pesait trop lourd sur ses épaules. Il l'étouffait. L'islandais aurait aimé ne pas avoir à le revêtir. Mais l'Allemagne menaçait le pays depuis l'Est.
Les premières conquêtes d'Hitler ne lui avaient pas suffi. Il en voulait plus, toujours plus. Une situation qui a obligé les hommes à être réquisitionnés sur le front pour l'armée française afin de défendre le territoire. La mobilisation s'était faite lentement, sans enthousiasme, avec résignation. La guerre était perçue par beaucoup comme inutile, irréelle. Une guerre qu'on ne voulait pas faire. Pourtant, elle était bien là.
Elizabeth retenait ses larmes. Elle caressa la joue de son bien-aimé avec tendresse. Ce dernier ferma un instant les yeux, voulant profiter de ce dernier contact, de sa chaleur. Quand il les rouvrit, il perçut la détresse dans son regard. Jakob eut la sensation d'avoir son cœur déchiré en deux entre son amour et son devoir.
- Souris-moi.
En guise de réponse, la jeune femme secoua la tête. Elle était incapable d'accéder à sa demande. Sa peine et sa peur prenaient trop de place en elle. Elizabeth baissa la tête, impuissante. Jakob ne pouvait pas partir en la laissant ainsi. L'expatrié prit son menton entre ses doigts afin que leurs prunelles se croisent. Celles de la jeune mère de famille retenaient tant bien que mal ses larmes de tristesses.
- Tu te souviens, du jour où je t'ai demandé de m'épouser ? questionna-t-il, il poursuit en voyant qu'un sourire prit place sur le visage d'Elizabeth. Voilà ! C'est le souvenir que je veux emporter !
Attendrie par ses paroles, la jeune femme embrassa son mari. Un échange doux et passionné laissant transparaître leur espoir et leur peur. Cette guerre les forçait à se séparer, mais pour combien de temps ? Une chose était sûre : leurs vies ne seraient plus comme avant après cela.
Le coup de siffler du chef de gare retentit. Ce dernier les sortit de leur bulle d'amour protectrice. Le retour à la réalité était douloureux. Sans quitter des yeux celle qu'il aime, Jakob pénétra dans sa voiture. Il passa la tête à travers la fenêtre. Il voulait profiter de ses dernières minutes. L'un comme l'autre, ils ne voyaient pas le monde qui les entoure. Tous ses autres familles et couples qui se déchiraient eux aussi par une séparation non désirée.
La peur tiraillait l'estomac d'Elizabeth. Elle s'approcha du visage de son mari qui passa une main à travers la vitre. Il l'étreignit avec la sienne, posant un dernier baiser sur sa paume. En même temps que le train se mit à avancer, les larmes brisèrent la barrière des yeux de la jeune femme.
Plus le train accélérait, plus ses perles salées se multiplièrent sur son visage. Elizabeth ne voulait pas briser leur dernier contact. Ses pas se mirent à suivre la voiture, courant pour ne pas briser ce lien étroit qui leur restait. Puis, arriver au bout du quai, Anne la retint en arrière afin qu'elle ne tombe pas sur les railles, déliant leurs mains.
- JACK ! S'écrit-elle en larmes.
Elle fixa le train qui emporte son cœur. Elsa' se sentait impuissante, inconsolable. Son bonheur se brisait. Puis, elle en voulut à cette guerre et à tous ceux qui ont participé à son déclenchement. Que ce soit de près ou de loin, Elizabeth n'en avait cure. Ils étaient responsables de sa douleur. Éliane s'accrocha aux jambes de sa mère. Cette dernière continuait de fixer le train qui s'éloigne, vers les Ardennes. Elle titilla nerveusement du bout des doigts son alliance. Son regard se perdit dans le vide.
- Maman, où est papa ? bafouilla Éliane.
La jeune mère se tourna vers la petite de 4 ans. Elle esquissa un sourire afin de ne pas l'alarmer. Cependant, les mots se bloquèrent dans sa gorge, incapable de lui expliquer le vrai sens de son départ. Pour toute réponse, elle prit sa fille dans ses bras pour la serrer fortement contre elle. Éliane ne parvenait pas à déchiffrer le geste et les larmes de sa génitrice.
Toutefois, elle accepta son étreinte, passant ses petites mains autour de son cou. Une main d'Elsa' caressa avec douceur les longs cheveux blonds de sa fille. Ses enfants étaient la seule part de lui qui lui reste. Et pour eux, elle était prête à trouver la force nécessaire pour survivre.
Anne caressa le dos de sa sœur en gardant un œil vers l'horizon. L'adolescente se souvint du petit garçon de son enfance, Christophe. Elle avait toujours une pensée pour lui malgré les années qui s'étaient écoulées. Elle se demandait sans cesse où il était ? S'il allait bien ? Comment était sa vie ? Avait-il trouvé une fiancée ?
Anne ne parvenait jamais à trouver une réponse, préférant laisser travailler son imagination. Dans son esprit, elle aimerait qu'il soit devenu quelqu'un de respectable, mais toujours un cœur à prendre. Puis, une autre question lui apparut : était-il lui aussi dans l'armée ? Si c'était le cas, elle priait pour qu'il reste en vie. Peut-être pourrait-il aussi veiller sur Jack' ? La cadette Darendelle voulait garder son optimisme en toute circonstance, y compris en ce jour. Il ne s'agissait que d'au revoir. Ce n'étaient pas des adieux. Elle se doit de s'en convaincre.
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La Force de t'aimer
Fanfiction1932, Paris. Dans une atmosphère d'euphorie, de plaisirs et d'inégalités sociales, les rues de Paris sont marquées par une aspiration nouvelle à la liberté et une crise économique qui entraîne la France dans l'instabilité. C'est à cette époque que...