La solitude pesait sur le cœur de Céleste alors qu'elle pénétrait dans l'enceinte de l'établissement. Pourtant, l'absence de ses seules amies ne semblaient pas faire une énorme différence.
D'ordinaire, Tiphaine et Eulalie l'attendaient à l'entrée du collège. Céleste y contemplait ses deux camarades échanger des potins sans mot dire. Les deux adolescentes n'y prenaient pas garde, s'en moquaient éperdument et ne tentaient pas même de l'inclure dans la conversation. Pourquoi ? À cause de sa dissemblance, de sa différence, de son manque de sociabilité, de sa timidité, de son passé méconnu dont elle n'osait faire part. Pourtant, comme elle avait besoin de parler ! Mais avec qui ? Qui pourrait bien l'aider dans ces abîmes sans fond, qui pourrait bien la sauver des griffes de ses démons ? Même son père ne se rendait pas compte qu'elle allait mal. Alors qui ? Qui ?
Céleste enchaîna chaque cours avec absence, son corps robotisé avançant un pas devant l'autre en direction des salles de classe, mais son esprit s'évadant hors de son enveloppe corporelle, hors de cette prison qui lui maintenait les deux pieds dans un monde qui ne voulait plus d'elle. Chaque pas était un fardeau, et les chuchotements et moqueries qui suivaient chacun de ses gestes n'étaient désormais plus qu'une mélodie éternelle, qu'un bruit de fond rythmant son quotidien de collégienne.
Alors qu'elle s'échappait avec soulagement de la salle d'Histoire-Géographie, des rires percutèrent ses tympans. Rebroussant chemin, elle tourna à l'angle du couloir et découvrit ses deux amies défaillantes en pleine discussion animée avec Roseline Mayer. Sa haute silhouette effilée était adossée au mur, ses fines gambettes croisées l'une sur l'autre, une main posée sur sa nuque, juste en dessous de sa queue de cheval noire.
— ... enfin débarrassées d'elle ! clama la voix aiguë de Tiphaine. Ce qu'elle peut être collante ! Et Céleste ne prend même pas la peine d'essayer un tant soit peu de préserver notre réputation, non ! Elle conserve sans pouvoir s'en détacher son apparence mystérieuse, ses secrets...
— Et elle est incapable de s'habiller correctement ! renchérit Eulalie. Non mais vous avez vu ses pulls hideux ?! Sans parler de sa veste violette ! Quelle horreur !
Les rires cruels des trois cancanières percèrent les tympans de Céleste.
— Je ne vois pas pourquoi vous preniez la peine de concevoir de la pitié pour une telle fille, fit la voix grinçante de Roseline. Elle est incapable de se faire des amis, point barre. Et elle refuse de le reconnaître.
N'y tenant plus, l'adolescente s'enfuit en courant à toutes jambes en direction de la cour. Elle aurait aimé partir, partir loin, ou bien s'enfoncer sous terre pour ne jamais plus reparaître.
En arrivant dans la cour, elle s'adossa à un arbre, à l'abri des regards indiscrets. Céleste sortit de sa poche la seule preuve de la disparition de sa mère. Elle fit tourner la petite plume entre ses doigts, songeuse, reniflant de dépit et refusant de laisser couler ses larmes.
— Tiens ! Mais qui voilà ! La fille bizarre ! Tu t'es trompée de bâtiment, ma chérie. L'hôpital psychiatrique est à l'autre bout de la rue.
Céleste s'empressa de ranger la plume dans son étui.
— Qu'est-ce que c'est ? poursuivit son interlocutrice.
— Rien qui te regarde, Roseline Mayer !
— Oh ! Mais tout me regarde ! Tu n'es pas au courant, Céleste ?
Elle tendit la main en direction de son sac et y attrapa un exemplaire de journal aux pages cornées et chiffonnées. Elle l'ouvrit à une page et, se raclant la gorge, lut ce qui y était inscrit :
— Sept décembre 2016. La bibliothécaire disparaît subitement. La police fait tout son possible, mais la disparue reste introuvable. Le mari de la supposée défunte tente de taire l'affaire...
Saisissant la page d'une main, Roseline la réduisit en lambeaux de l'autre, sans quitter sa camarade du regard. Puis, les débris de papier à ses pieds, elle déclama d'une voix posée :
— Ça a dû être très dur de perdre sa mère à cet âge. Mais où est-elle ? Elle est morte ?
— Elle n'est pas morte, rétorqua Céleste, grinçant des dents.
— Alors elle t'a abandonnée.
— Elle ne m'a pas abandonnée.
— En général, on dit d'un parent qui quitte son enfant sans le prévenir qu'il l'abandonne.
Céleste sentait bouillonner en elle une fureur qu'elle s'efforçait de taire. Les muscles tendus au maximum, ses poings serrés, ses ongles s'enfonçaient profondément dans la chair de ses paumes.
— Je t'interdis de dire ça de ma mère, Roseline.
— La liberté d'expression, ça te parle, Miss Chelou ? Bizarre. D'ordinaire, les intellos apprennent le dictionnaire par cœur. Sauf que tu n'es pas une intello. Oh mais oui ! Suis-je bête ! Sans mère, ça a dû être difficile de travailler correctement.
— La-fer-me.
— Certains disent que ta mère a préféré un autre à ton père et à toi. Ça expliquerait pourquoi vous avez essayé de ne pas laisser s'ébruiter sa disparition... ou plutôt sa fuite.
— La ferme !
Dans un déclic, Céleste sentit quelque chose s'effondrer en elle. Aveuglée par les larmes, elle se jeta sur Roseline et lui asséna un puissant coup sur la mâchoire. La harceleuse chancela, étourdie et sonnée. Elle porta ses mains à sa gorge et son visage prit une teinte verdâtre, alors que la brune reculait d'un pas, surprise par cette réaction inattendue. Mais Roseline se ressaisit rapidement. Lorsqu'elle releva la tête, ses prunelles rougeoyaient, non pas de colère, mais de détermination.
Attrapant son interlocutrice par le col de sa veste, elle la propulsa vers un coin désert de la cour de récréation. Céleste tenta de saisir le bras de son attaquante, mais celle-ci attrapa une poignée de ses cheveux bruns et sa victime hurla en lâchant l'adolescente. Ayant l'avantage, Roseline n'eut aucun mal à repousser la brune vers les casiers. Elle en ouvrit un à la volée et plaqua Céleste contre la paroi du fond.
— On verra bien si quelqu'un pense à venir te chercher, susurra Roseline. Bonne nuit, Cælestis !
Et elle claqua la porte du casier. La prisonnière entendit le déclic caractéristique des cadenas, et le noir devint complet. Elle ne chercha pas à tambouriner contre la porte, sachant bien que personne ne l'entendrait dans le tohu-bohu de la cour de récréation et de la sonnerie annonçant la reprise des cours. Elle n'avait plus qu'à croiser les doigts pour qu'on la délivre avant que la nuit vienne, emportant avec elle les dernières lueurs du jour, ses dernières lueurs d'espoir.
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Le syndrome des cœurs de pierre I - Pupille
Fantasía/!\ EN COURS DE RÉÉCRITURE Tome premier « Dans nos cœurs en perdition, L'amour s'est volatilisé. Mais en ces relents d'émotions, Même la haine n'a subsisté. Seule l'impassibilité souffle en cette terre, Où tous nos cœurs sont faits de pierre. » P...