Les quatre mots

308 19 13
                                    

PRESQUE QUATRE ANS PLUS TARD...

Point de vue de Jen

Schreee, shronk, shreee, shronk, shreee, shronk...

J'ai continué à me balancer d'avant en arrière, mes pieds frottant sur le sable mouillé, sans quitter le sol des yeux. Je n'entendais rien d'autre que le grincement de la balançoire, et le bruissement des feuilles dans un arbre tout proche.

Lorsqu'une brise froide a déclenché un frisson le long de ma colonne vertébrale, j'ai lâché les chaînes de la balançoire et j'ai cessé de me balancer. Mais mon regard ne s'est relevé qu'au moment où j'ai entendu des cris haut-perchés en direction du toboggan ; quelques secondes plus tard, un petit garçon s'est présenté devant en courant et a commencé à grimper dessus.

Je l'ai observé pendant quelques secondes, afin de m'assurer qu'il arrive en haut en toute sécurité. Ça lui a pris un moment, mais il a fini par atteindre le sommet.

Il était complètement plongé dans son petit monde. Ses joues étaient rouge vif, un sourire flottait sur son visage et il ne se souciait de rien ni de personne d'autre. Je l'enviais pour ça.

Je n'avais rien fait d'autre ces derniers temps que de m'inquiéter.

Je me faisais du souci à propos des projets sur lesquels je travaillais, à propos des voitures qui roulaient trop vite sur l'autoroute, à propos des gens qui venaient me poser des questions auxquelles je ne voulais pas répondre. J'avais même commencé à m'en faire au sujet des avions qui s'écrasaient, ce qui n'était pas une bonne chose étant donné que je devais prendre l'avion à peu près une fois par semaine.

J'ai soupiré, en levant les yeux vers le ciel. Il n'y avait pas une seule trace de blanc ; les nuages formaient juste une grosse masse grisâtre.

Un autre frisson a couru le long de mon dos. J'ai eu envie de prendre ce que j'avais dans ma poche, mais je n'ai pas pu.

C'était ce qui m'inquiétait le plus.

Le petit garçon avait découvert la fontaine à eau à présent, mais il était frustré car il ne comprenait pas comment pousser le bouton et boire en même temps. Il n'arrêtait pas d'échouer, mais il n'arrêtait pas non plus d'essayer, encore et encore.

Finalement il a fini par y arriver. Parce que c'est ce que font les enfants ; ils n'abandonnent pas. Parce qu'ils n'ont pas encore appris ce que c'est que d'abandonner.

J'ai relevé mon col pour me protéger de la brise glaciale, et puis soudain je ne pouvais plus l'éviter. J'ai plongé la main dans la poche de mon manteau et j'en ai sorti le petit papier.

Dessus il y avait ces quatre mots que j'avais lu plus d'un million de fois. Enfin, j'imagine que ce n'étaient pas exactement quatre mots ; ils ne formaient même pas une phrase. Le papier s'était un peu froissé et taché au fil des années, parce que je l'avais sur moi en permanence comme si c'était mon bien le plus précieux. Et ça l'était.

Parce que c'était sa dernière promesse.

12 avril 2022. Parc.

J'ai contemplé les mots, lisant son écriture pour la énième fois. Ce n'est que lorsque j'ai remarqué que mes mains s'étaient mises à trembler que j'ai remis le mot dans ma poche.

C'était ma plus grande crainte. Qu'il ne vienne pas.

J'ai pris une profonde inspiration, respirant l'air frais de Vancouver. J'ai regardé le gosse s'accroupir pour fouiller dans le sable autour du toboggan. Il était si incroyablement petit, assis là avec son manteau bleu marine descendu jusqu'en bas des épaules, et je n'avais jamais ressenti plus d'amour pour quelqu'un quand il s'est retourné et que son visage tout entier s'est illuminé.

The First Flight [FR]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant