La soirée avait parut si absurde et improbable que le lendemain, je ne m'attendais presque pas à ce qu'elle se soit vraiment passée. Et pourtant.
Olivier m'attendait en bas, éclatant. Aucun signe du jeune homme pétrifié de la veille.
- Vous êtes prête?
- Ne déjeunons-nous pas?
- Non, pas ici. Je pensais vous faire goûter aux merveilles culinaires du meilleur pâtissier de la capitale. Venez, hâtons-nous avant qu'il n'y ait trop d'achalandage.
Il m'offrit son bras et me guidait jusqu'au carrosse, duquel il m'ouvrir la porte. Mon arrière-grand-mère se tortillerait de bonheur devant tant de bonnes manières. La pensée m'arracha un sourire.
- Qu'est-ce qui vous fait sourire?
- Oh, hum... Ce n'est rien.
- Allez, dites! Il est si rare que vous souriez en ma présence, j'aimerais savoir comment m'y prendre pour avoir le plaisir de revoir un si magnifique sourire.
La gêne me consuma de la tête aux pied et je regardais à l'extérieur pour penser à autre chose. Les rues défilaient, de moins en moins familières.
Des boutiques proprettes indiquant des propriétaires prospères encadraient la rue où les bourgeois flânaient au soleil.
Dire qu'à quelques rues de là, les moins fortunés en étaient réduits à voler pour survivre et faire vivre des hommes comme Ormad.
Le carrosse passât par une porte cochère qui donnait sur un petit jardin privé. Là, un petit homme, apparement le propriétaire de l'endroit, nous attendait. Quand nous sommes sortis, il se pencha jusqu'à ce que son nez touche le sol.
Tout en jacassant et en vantant les mets signature de la maison, il nous mena dans un petit salon privé avant de disparaître, toujours en ne cessant de parler.
La distance finit par éteindre le flot verbal, mais quelques secondes suffirent à le raviver, comme le petit homme revenait avec une desserte où croulait les assiettes, qu'il disposa sur la table en faisant une description colorée de chacun.
- Tout d'abord, le feuilleté de grenadine, la pâte bien croquante est parsemée de bulles acidulées qui explosent en bouche à la manière du fameux fruit rouge. Nous avons ensuite la mousse de noix de grenoble, soyeuse et subtilement parfumée à la tulipe. Il y a bien sûr nos fameuses fraises confites au miel avec un filet de crème. Puis...
Et ainsi de suite. Chaque pouce carré de la malheureuse table basse était assiégé. Le propriétaire resta après le service de longues minutes à parler sans cesse, de tout et de rien, sans but autre que de parler. Olivier l'écouta longtemps et patiemment, tant et si bien que je me demandais comment il faisait pour ne pas frapper le bavard.
Quand le propriétaire dût enfin reprendre son souffle, Olivier se leva et serra la main du cuisinier.
- Bien, je suis heureux de vous l'entendre dire et je ne vous retiens pas d'avantage. Vous avez une pâtisserie à gérer et nous vous avons prit assez de temps comme ça. Merci de vos attentions, nous allons maintenant manger avant que ce festin ne refroidisse.
Le malheureux cuisinier, déçus d'avoir déjà verbalisé tout ce qui était possible et inimaginable de verbaliser, ne trouva pas à redire et traîna mollement sa desserte derrière lui en sortant.
- Désolé j'avais oublié à quel point il aimait parler, s'excuse le prince en commençant à répandre la marmelade sur une tartine.
- Je vous pardonne.
- Avez-vous déjà assisté à un concert, Astride?
- Non... Enfin si, si vous considérez les concerts de percussions sur casseroles organisés toutes les deux semaines par mes cousins...
Le prince sembla un moment devenir morose.
- Votre famille semble si... Merveilleuse. Ce que vous devez vous ennuyer d'eux.
Je l'observait, me demandant bien ce qui le tracassait tant. Je savais qu'il ne confierait rien, je posais alors une autre des grandes questions qui me brûlait les lèvres.
- Pourquoi soudainement s'intéresser à moi, tout à coup? Quoi, ou plutôt, qui vous y pousse?
Tressaillement de sourcil, hésitation, sourire.
- Je ne peux nier que mon père sa Majesté, qui semble vous tenir en haute estime, m'a fortement recommandé votre compagnie. Cependant, cela faisait un bon moment que je souhaitais vous connaître d'avantage, mais vous êtes toujours restée distante. Je sais maintenant les raisons qui vous y poussaient, mais, maintenant que je connais votre pouvoir, la barrière est tombée. La barrière est tombée et vous n'avez plus besoin de cette carapace et je crois que nous pouvons désormais êtres au moins amis.
Un silence songeur s'installa.
Je choisi soigneusement mes mots.- Va pour l'amitié, alors. Mais faites gaffe, je pourrais changer d'avis si je deviens grosse après avoir fini ce repas...
- Je prend le risque. En parlant de repas, je suis désolé pour le souper d'hier, j'essaierai de vous les éviter à l'avenir... Même si mon père tient tant à votre compagnie.
Je le gratifiais d'un sourire.
- Quel genre de père est-il?
- Pardon?
- Quel genre de père est-ce?
Il figea, et l'espace d'un instant, l'Olivier d'hier était de retour.
- Le meilleur qu'il peut être, j'imagine...
Sa phrase en soi ne disait pas grand chose, l'amertume de sa voix en racontait long. J'avais, je le sais, fais faux pas.
- Mon père à moi, je ne l'ai jamais connu, dis-je en essayant de le consoler. C'était un homme très discret, à ce qu'on m'a dit. Il aspirait à une vie tranquille, mais la maladie l'a emporté à peine quelques mois après le mariage. Il est mort comme il a vécu, invisible et oublié. Aussi ironique que cela puisse paraître, je suis l'enfant d'un courant d'air.
- Votre père me semble très bien, dit il sur un ton sans réplique. Ne soyez pas prompte à dispenser des jugements si durs.
Je baissais la tête, honteuse.
- Je suis désolée...
Il s'adoucit et, de sa main, me remonta le menton.
- Il y a tellement plus grave, je ne vous en tiens pas rigueur. Finissons et partons, nous avons du chemin à faire.
La journée, à partir de ce point, se passa aussi bien que l'on ai pu souhaiter. La route était belle, le temps était bon, le concert grandiose.
Les archets valsaient sur les violons dans un glissement soyeux. Les mélodies les plus simple, autant que les compliquées, charmaient l'oreille. Je n'avais jamais rien entendu de si beau, si grand.
Le temps où le chef se retourna pour accueillir les applaudissements arriva trop vite à mon goût, j'aurais voulu y rester pour le reste de mes jours.
Ce n'est qu'au coucher du soleil que je retrouvais mes cartiers.
Toute la légèreté qui m'avait habitée peu avant s'envola.
Quelqu'un était entré, la porte était déverrouillée.
VOUS LISEZ
Gravité
Fantasia- Tome deux de « Étoile ». Astride est de retour au château avec DeFontaine, Olivier, Zara et bien entendu, le fidèle Auguste. Plus que jamais, elle devra faire preuve d'ingéniosité, les intentions du roi n'étant pas claires et Gaëlle rôdant toujou...