SEIZE

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Auguste

Voilà plus de deux semaines qu'on m'avait annoncé la mort d'Astride. Voilà plus de deux semaines que je n'avais autorisé personne à me voir.

Jour et nuit, sans jamais bouger un seul muscle ni souffler un seul mot, j'étais resté là, invisible à ruminer mes idées noires. Plusieurs fois, j'ai espéré mourir.

Je ne méritais plus de vivre, c'était de ma faute.

Rien que respirer était un affront terrible. J'avais pris sa vie.

Je m'en voulais d'être assez lâche pour encore obéir à mon instinct de survie. Je m'en voulais d'être assez égoïste pour encore manger et dormir.

Si j'étais mort, elle ne serait pas partie me sauver, elle serait saine et sauve.

- Auguste?

Encore lui. Olivier venait encore me harceler, il venait encore me rappeler mon ignoble nom. J'ignore comment, il savait que j'étais dans cette pièce. Il ne me voyait pas, mais il sentait ma présence. C'était le seul que je n'avais pas réussi à berner.

- Auguste, Valériane a discuté avec le peuple gris plusieurs fois, ces derniers temps. Elle a parlé d'Astride, elle a parlé de toi. Elle pense que tu es mort aussi.

Valériane était futée. Je suivais son exemple et priais que le peuple gris achève mes souffrances. Qu'il me laisse prendre la place Astride.

- Ils étaient furieux, elle n'a pu tirer un mot de leur part, hormis un charabia en rapport avec une arnaque.

Silence.

- Auguste, je ne vois pas ce que tu espère réussir en restant caché, mais...

Je retirais l'illusion et devins visible.

Je me suis dévoilé dans toute ma laideur. L'os de ma pommette menaçait de percer la fine couche de peau qui recouvrait encore mes joues mangées par la barbe. Mes yeux fous étaient noyés dans les replis noirs des cernes. Mes bras étaient couverts de griffures, à force d'angoisse.

Il fit un pas de recul quand je commençais à beugler.

- TU NE L'AS JAMAIS AIMÉ, SALE SANS CŒUR! NE VIENS PAS ME FAIRE LA MORALE ET RETOURNE DANS TON PALAIS, OUBLIE-LA, MARIES UNE PRINCESSE! DÉGAGE!

Son teint est passé du rouge, au vert, au blanc.

- C'EST ÇA QUE TU PENSES DE MOI? JE L'AI AIMÉ! NE CROIS-TU PAS QUE J'AURAIS DONNÉ MA VIE EN ÉCHANGE DE LA SIENNE?

Comme épuisé de cet accès de colère, le prince s'est soudainement interrompu. Il se mis à chuchoter, un chuchotement amer.

- J'aimerais être le sans cœur que tu vois en moi, ne plus souffrir autant. Bon sang que j'ai mal... Mais je ne peux m'offrir le luxe d'une période de deuil. Je suis un prince, j'ai une guerre à gérer, un peuple à satisfaire et une vengeance à accomplir.

Il a planté ses yeux droit dans les miens, le regard enfiévré. Lui aussi collectionnait les cernes.

- Aide-moi. Aide-moi à me débarrasser du démon qui me hante jour et nuit. Aide-moi à me débarrasser de ses assassins.

Il m'a tendu la main en signe d'invitation.

Je repensais aux yeux d'argent de ma cousine qui avait été pour moi une sœur plus que ne l'avais jamais été Gaëlle.

J'entendais encore sa voix, son rire. Comme si elle était là, avec moi.

Je tendis ma main en souvenir d'Astride.

GravitéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant