VINGT

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Astride

Les membres du conseil siégeaient sur leur haut trône d'obsidienne, la mine sévère et la lumière crue.

- Astride de la maison Bellefeuille, vous avez enfreint l'interdiction de descendre à l'En-Bas, le niez-vous?

- Non mais...

- Vous avez volontairement détourné un représentant de la loi de sa tâche, nuisant à l'ordre public, le niez-vous?

- Non, mais je...

- Vous avez tenté d'entrer en contact avec le mortel Olivier Moore, le niez-vous?

- Écoutez je peux exp...

- LE NIEZ-VOUS?

- Non...

- Chacun de ces méfaits vous vaudra trente ans de travaux pratiques. Après les quatre-vingt dix ans de votre sanction, vous pourrez reprendre votre apprentissage là où vous l'avez laissé.

- Pardon?

- Chacun de ces méfaits vous...

- Suffi.

- Ne m'obligez pas à rajouter une autre sanction, Mlle Bellefeuille!

- Mlle Bellefeuille... Mlle Bellefeuille! Quel absurdité d'encore me nommer par mon nom de famille, le nom qui me rattache à l'En-Bas, quand vous tentez désespérément de m'en couper!

- Quarante ans seront ajoutés à...

- J'en ai assez de cette société pourrie à la moelle, cette société de lâches hypocrites! J'ai découvert la vérité! Pourquoi me cloîtrer? Pourquoi...

- Cent ans supplémentaires, Mlle...

- ÇA SUFFIT!

Ma rage s'était solidifié en une masse compacte et instable qui avait menacé d'exploser tout au long de cet odieux procès. Avec mes deux derniers mots, la fureur et la puissance que j'avais cultivé tout au long de mon séjour éclata dans le ciel nocturne.

Une formidable énergie souffla la structure de marbre noir, fracassant les trônes d'obsidienne et les étoiles assises dessus. À présent, privée de leur piédestal, elles se retrouvaient au même niveau que moi, nez-à-nez avec la menace, soit moi-même.

- Écoutez-moi bien. Soit vous me donnez la peine de mort, soit vous me laissez descendre à l'En-Bas, puisque si vous m'enfermez ici un jour de plus, si vous m'imposez vos sanctions, vous aurez le plus gros problème de votre vie d'immortel. Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour vous faire regretter d'être jamais nés. Est-ce clair?

Pas un son. Pas un mouvement. Leur expression était figée dans la peur sans nom.

- C'est bien ce que je croyais. J'accompagnerai Cælesti dans ses travaux demain matin. Bonne nuit à vous tous.

Je passais par une fente dans le mur et retournais sans plus de cérémonies chez moi. Cælesti m'a suivi de loin, quand elle me rejoigni dans le salon, j'étais déjà recroquevillée sur le grand fauteuil de velours noir.

- Cælesti, pourquoi ton monde est-il si injuste?

- Ils ne sont pas si méchants, nous avons seulement des valeurs un peu différentes et des manières de les appliquer différentes, ce qui est normal, puisque nous sommes immortels et que tu es habituée aux mortels. C'est un mode de vie complètement opposé. Un jour, tu comprendras. Tu ne les acceptera peut-être pas, mais tu comprendras.

- Toi, tu les accepte?

Silence.

- Cælesti?

- Tu aura le droit d'aller à l'En-bas dans tes temps libres à partir de maintenant, cependant tu devra attendre pour m'aider dans mes tâches. Je t'enseignerai toutes les nuits et tu ira où bon te semble le jour, jusqu'à ce que tu sois prête. Tu comprends?

- Oui, merci. Bonne journée.

- À cette nuit.

Au moment où elle partait, elle se ravisa et revint sur ses pas.

- Oh et Astride... N'explose plus jamais comme ça, les immortels peuvent longtemps garder rancune si jamais il arrive quelque chose de grave. Tu ne voudrais pas causer une catastrophe, non?

- Je ne dois pas être là première à ne fâcher un peu, si tout le monde garde rancune!

- Personne n'avait jamais encore réussi à exploser les murs... Bonne journée.

GravitéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant