NEUF

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Je passais la semaine à l'extérieur du château, espérant que, ne me voyant pas, le prince pourrait m'oublier et succomber aux charmes d'une autre pauvre fille.

Ça me fendait le cœur, puisqu'il était toujours si gentil.

Il était absolument charmant, intelligent et, par dessus le marché, joli garçon.

De magnifiques yeux noisette, de belles dents alignées, des traits fins. Absolument parfaits sous tous les angles. Parfois même un peu trop.

J'aurais même pu dire qu'il me plaisait.

Mais son problème, c'était sa position. Son statut de prince. Toutes les règles et responsabilités qui le serraient à la gorge, tous ces protocoles...

C'est ça qui me rebutait. Je ne voulais pas mettre ne serait-ce que le petit orteil dans cet univers-là.

Une nuit où je revenais en catimini de mes excursions, fermant doucement la porte derrière moi, une voix retenti derrière moi. Mes cheveux se dressèrent sur ma tête, hérissés de s'être fait prendre la main dans le sac. Cette voix, si douce qui pourtant résonnait à travers l'espace aussi bien qu'on l'eu souhaité pour quelqu'un destiné au métier d'orateur.

- Vous savez, dit Olivier, posséder cette clef ne vous empêche pas de suivre vos cours, Astride.

Je me retournais, il avait les yeux plissés. Je ne savais trop quelle émotion ressortait, de la tristesse, de la colère, de l'intérêt? Je jouais une carte sûre.

- Je vous ai vexé?

Ses traits se radoucirent.

- Non, seulement je suis un peu déçus de voir que ce privilège vous pousse à négliger vos études.

Je ne savais pas trop s'il était déçu que je sèche les cours ou que je l'évite.

Je baissais quand même les yeux, trop honteuse pour lui avouer la raison véritable de mon absentéisme chronique. Maintenant que j'y repensais, je me trouvais puérile. Et si cette histoire d'amour n'avait été finalement que qu'une rumeur? Si j'avais tout imaginé dans un fantasme tordu?

Non, c'était trop compliqué pour ne pas être vrai. Mon imagination n'était pas à ce point fertile. Mais je devais au prince des excuses pour ma conduite.

- Je suis désolée, dis-je comme une enfant que l'on gronde, cela ne se reproduira pas.

- Bien, je vous crois sur parole et c'est pourquoi je ne vous en tiendrez que peu de rancune.

- Rancune? À ce point là? Oh je suis désolée...

- Si vous tenez à vous faire pardonner...

- Quoi?

- Eh bien...

- Dites-donc.

- Je n'ose pas...

- Allez!

J'avais à peine remarqué le sourire moqueur qui lui montait aux lèvres depuis quelques instants.

- Puisque vous insistez. Voudriez-vous m'accompagner au bal?

Une tonne de brique me tomba sur la tête. Il eut l'air amusé, haussa un sourcil.

- Qu'est-ce qui vous repousse tant chez-moi?

- Pardon?

- Oui, vous semblez toujours presque dégoûtée à chaque fois que je vous invite. Pour tout vous avouer, même si je ne l'ai jamais vraiment caché, je vous apprécie et j'aimerais qu'on soit... Plus proches. Si l'idée vous déplaît franchement, je ne dirai plus jamais un traître mot et vous laisserai tranquille. Seulement, j'aurais de la difficulté à tourner la page sans savoir pourquoi vous ne... Enfin, vous be m'aimez pas.

J'éclatais de rire. Comment mettre des mots rationnels sur l'amour? Malgré l'étrangeté de la question, au fond, je le comprenais. Je savais ce qu'il voulait dire.

- Je n'y ai jamais réfléchi, en fait. Mais, j'ai l'impression que ça sonne faux.

Il crispa la mâchoire.

- Comment ça?

- Je ne sais pas... L'année passée, j'étais encore une enfant et... Est-ce qu'on peut si facilement passer à un univers si diamétralement opposé? Vous vivez dans un autre monde, fait d'or, de logique et de politique, je ne le comprend pas. Vous avez une telle maîtrise de votre langage, une telle assurance. Je vous admire, mais je ne sais pas encore si je vous aime. Si j'ai ma place dans votre réalité.

-  Vous avez raison, l'amour est peut-être un projet ambitieux. Pour l'instant. Mais un bal n'oblige à rien. Et si vous commenciez d'abord par faire un réel effort pour maintenir une relation amicale? Après, nous reverrons ce qu'il en est de nos sentiments.

Il me tend la main pour une poignée.

Je la saisi et fais, enfin, la paix avec lui.

Il semble soudain songeur.

- Je dois par contre vous avertir qu'il vous faudra une robe de soirée. Et pas la moindre. Mon père est très à cheval sur le code vestimentaire et aime bien ce qui est excessivement élégant. Je ne crois pas qu'une robe vous soit nécessaire pour être jolie, néanmoins je vous enverrai une couturière dimanche après-midi pour vous confectionner une robe.

- Je suis capable de...

- Je sais, mais j'y tiens. Laissez-moi vous faire ce cadeau de fête en retard, puisque si je ne me trompe pas, vous avez soufflé vos dix-huit bougies la semaine passée, non?

- Qui vous l'a dit?

Il sourit chaleureusement et me fit le baisemain.

- Bonne nuit, Astride.

GravitéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant